Sous la contrainte de sa politique énergétique, l’UE de plus en plus à la peine

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

18 octobre 2024 • Opinion •


Force est de constater que l’Union européenne n’est pas à la veille de changer de politique énergétique (verte) alors que celle-ci ne tient pas ses promesses. La volonté de la nouvelle Commission de maintenir le cap de la précédente n’est pas surprenante vu les engagements politiques des commissaires qui ont été désignés. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission est en outre dans une position délicate. Elle est, en effet, prise en tenaille entre d’une part la « loi européenne sur le climat règlement du 30 juin 2021 (règlement du 30 juin 2021), essence même du Pacte vert européen visant à atteindre la neutralité climatique en 2050, et d’autre part le PPE ainsi que la CDU, partis dont elle est membre, soutenant avec force l’industrie, ce qui requiert de retrouver rapidement la compétitivité face à la concurrence internationale impitoyable, notamment celle de la Chine et donc d’amender la loi sur le climat.

Sa position est d’autant plus inconfortable que l’objectif de Teresa Ribera, numéro 2 de la nouvelle Commission en charge d’une transition juste, propre et compétitive et fervente militante pour le climat, serait de nature à donner la priorité au climat plutôt que d’assurer une sérieuse compétitivité. Une énergie abondante, bon marché et disponible en toutes circonstances est une condition essentielle pour améliorer la position concurrentielle de l’UE. Il y a de grandes chances que la politique de l’Espagnole ne soit pas très différente de celle de monsieur Timmermans. En outre, le Commissaire à l’énergie, Dan Jorgensen, est antinucléaire et convaincu de la politique zéro carbone.

L’Allemagne, première responsable des mauvais choix de la politique énergétique européenne

La politique énergétique européenne a conduit à une augmentation des coûts de l’énergie et à une perte de souveraineté de l’Union, l’Allemagne et son Energie Wende en étant grandement responsable. La position dominante en Europe de cette dernière, résultant de sa puissance économique (encore nettement supérieure aux autres pays européens malgré ses décisions erronées : sortie du nucléaire et croissance trop rapide et mal préparée du renouvelable intermittent) et de sa démographie, lui donnent un poids exagéré dans les débats sur la politique de l’Union en matière d’énergie.

Une infrastructure nettement insuffisante pour le transport de l’électricité du nord de l’Allemagne (provenant, entre autres, des éoliennes offshore de la mer Baltique) vers le sud et l’ouest industriels est un exemple de son manque de prévoyance pour assurer l’expansion des énergies renouvelables. Cette négligence est amplifiée par l’opposition de la population à la création de ces indispensables lignes électriques.

Vers la fin de l’engouement pour l’éolien

Toutefois, le vent a tourné. L’engouement pour l’éolien s’est affaibli. La tendance semble montrer que le business de l’électricité verte deviendra moins rentable, d’autant que dans plusieurs pays européens les subventions ont été réduites, voire supprimées. Ce pourrait être le cas à l’avenir pour presque tous les États membres vu la hauteur de leur dette publique. Différentes causes sont à l’origine de cette perte de rentabilité.

Le prix des matières premières a significativement augmenté. Le prix de l’acier, utilisé pour les tours et les pales des éoliennes, a grimpé en flèche. Il en est de même pour les composants des pales, du cuivre et des métaux rares nécessaires à la production d’électricité verte et au stockage d’énergie par batteries. Selon France Renouvelables, le prix moyen d’une éolienne terrestre est passé de 2,4 millions d’euros en 2021 à 3,2 millions en 2023.

La qualité des composants des éoliennes constitue l’un des obstacles qui pourrait empêcher la concrétisation de projets de parcs éoliens en Europe. Les difficultés récemment rencontrées par Siemens Gamesa l’illustrent parfaitement, tant en ce qui concerne l’onshore que l’offshore. Un taux de défaillance significative accru des composants d’éoliennes a été constaté. Ces problèmes de qualité concernent plus particulièrement les composants des pales, des rotors et des roulements.

Avec la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, les chaînes d’approvisionnement sont durablement perturbées. D’autre part, l’Union européenne pourrait ne pas avoir les moyens de ses ambitions. Les recettes et dépenses des États membres ont continué à être touchées par les politiques de relance initiées lors de la pandémie Covid-19, auxquelles se sont ajoutées les mesures d’atténuation des effets de la hausse des prix de l’énergie. Dans l’Union, les recettes publiques se sont établies à 45,8 % du PIB en 2023, tandis que les dépenses publiques totales ont atteint 49,3 % du PIB la même année (soit un déficit de 3,5%), faisant de l’année 2023 « une très mauvaise année pour les finances publiques », selon la Cour des comptes (1).

Outre l’inflation, la qualité des composants et les problèmes logistiques, les constructeurs européens d’éoliennes doivent également faire face à la concurrence chinoise. Celle-ci est d’ailleurs présente sur le marché européen de l’éolien. Les éoliennes fabriquées en Chine sont moins chères que les européennes, malgré le coût du transport (2).

Conséquences industrielles

Tous ces problèmes sont à l’origine du report de développement de parcs d’éoliennes, voire de l’annulation de ceux-ci. C’est le cas, entre autres, des entreprises suivantes :

  • Le groupe énergétique suédois Vattenfall qui a annoncé, début septembre 2024, qu’il suspendait le projet Kriegers Flak, prévu au large de la côte sud-ouest de la Suède, en invoquant précisément des conditions d’investissement non rentable. Ce parc éolien était censé produire 2,7 TWh à partir de 2018.
  • European Energy, entreprise danoise, qui a décidé de cesser le développement de son projet de 320 MW entre les îles de Seeland et Holland et ce malgré une longue préparation et l’avis favorable de l’EIA (3).
  • Shell a déclaré qu’elle pourrait se retirer d’un appel d’offres en cours concernant le premier parc éolien offshore de la Norvège en raison de doutes sur sa rentabilité (4).

Rappelons qu’en février 2023, l’agence danoise de l’énergie a suspendu le développement de pas moins de 33 projets éoliens offshore, en attente de clarifications de conformité avec la législation européenne.

Bien entendu les constructeurs européens sont lourdement impactés. Par exemple :

  • Siemens Gamesa, l’un des leaders du secteur a fait l’actualité en annonçant une perte de 4 milliards d’euros pour l’année 2023.
  • En 2022, Vestas, numéro 1 mondial de l’éolien, avait perdu 1,5 milliards d’euros et replonge dans le rouge en 2023. L’entreprise peine à se redresser.
  • GE Vernova, entreprise indépendante spécialisée dans la transition verte, a annoncé la suppression de 740 postes en France. La conjoncture économique actuelle est responsable de cette situation.

Dès l’été 2023, la directrice générale de Vattenfall Anna Borg confirmait à l’AFP que « les conditions étaient extrêmement difficiles dans le secteur de l’éolien » (5). Il y a déjà plus d’un an. On réalise enfin que le « tout renouvelable » d’ici à 2050 va surtout profiter à la Chine qui inonde le marché européen de ses produits grâce à ses prix imbattables, malgré les coûts de transport. Il ne s’agit d’ailleurs pas uniquement des éoliennes et de ses composants, mais également des panneaux photovoltaïques, des batteries indispensables pour stocker l’énergie, etc.

En revanche, ce sont les citoyens européens qui payent la facture.

Le « Pacte pour l’avenir » de l‘ONU, nouveau renoncement européen

La politique verte européenne ne fait qu’augmenter notre dépendance vis-à-vis de tiers et particulièrement de la Chine et de l’Asie et donc diminue l’autonomie européenne, pourtant présentée comme une priorité.

À cet égard, l’Union européenne a co-signé le « pacte pour l’avenir », le 22 septembre 2024 lors du sommet de l’avenir organisé dans le cadre de l’assemblée générale des Nations Unies, qui vise à conférer à l’ONU davantage de pouvoir d’influence dans les affaires mondiales (56 mesures que les gouvernements et les industries internationales devront prendre dans les prochaines années)

L’un des objectifs du Sommet de l’avenir était de faire de l’ONU la force centrale chargée de gérer les urgences internationales et les « chocs mondiaux complexes ». Dans son document originel d’orientation sur la question, António Guterres déclare que tous gouvernements, nations, entreprises et autres parties prenantes devraient reconnaître le rôle primordial des organes intergouvernementaux. L’influence de Pékin au sein des principales agences de l’ONU n’a fait que croître grâce à leurs fonctionnaires délégués qui utilisent leur poste pour poursuivre les objectifs de la politique étrangère chinoise (6). Dès lors, permettre à l’ONU de s’occuper de ces questions prioritaires ne revient-il pas à confier au Parti Communiste Chinois la responsabilité des urgences mondiales ?

Il n’est pas étonnant que la Chine ait soutenu le pacte pour l’avenir. Elle ne peut que se réjouir de son adoption, vu qu’il réduit encore davantage l’autonomie européenne. En outre Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères a annoncé que le régime chinois soutenait l’ONU en tant que principal canal de gouvernance de l’IA (avec les conséquences concernant la liberté d’expression).

Après avoir renoncé à adapter ses objectifs énergétiques à la réalité économique et à se doter d’un mix énergétique lui permettant d’être compétitive au niveau international, l’Union européenne a co-signé le « Pacte pour l’avenir » (un autre renoncement ?) qui réduira encore plus son autonomie au profit de la Chine qui s’emploie à détruire la démocratie et à faire payer cher la politique zéro carbone.

Notes •

(1) « Le déficit public de l’Union européenne », Comprendre l’Europe, 24 septembre 2024.

(2) « Les défis économiques et logistiques qui secouent l’éolien en Europe », Helvetia Energy, 5 novembre 2023.

(3) « Le Danois European Energy abandonne le projet Omo Syd », Mer et Marine, 31 janvier 2024.

(4) « Shell could pull out of major offshore windproject », Power Technology, 15 février 2024.

(5) « Arrêt d’un vaste projet éolien offshore au Royaume-Uni », Le Figaro, 21 juillet 2023.

(6) « Organisation des Nations unies : qu’est-ce que le « pacte pour l’avenir » de l’ONU ? », Vie publique, 27 septembre 2024.