25 octobre 2024 • Analyse •
Grâce à son voyage à Rabat fin octobre, le chef de l’État entend mettre un terme à la crise qui a opposé la France et le Maroc. Une bonne nouvelle diplomatique, qui doit toutefois s’inscrire dans une réflexion plus ample sur notre système d’alliances, analyse Jean-Thomas Lesueur.
Le 30 juillet dernier, Emmanuel Macron reconnaissait le plan d’autonomie marocain comme « la seule base pour aboutir à une solution politique juste et durable » au Sahara occidental et la souveraineté du Maroc sur la région. En se rendant à Rabat en visite d’État du 28 au 30 octobre, il entend mettre un terme à la crise aigüe qui a opposé les deux pays pendant trois ans. Et relancer entre eux une dynamique positive. S’il s’agit d’une bonne nouvelle diplomatique, elle doit s’inscrire dans une réflexion stratégique plus ample sur notre système d’alliances.
Cette séquence, qui fâche sérieusement Alger, est un jalon dans la course au leadership régional que se livrent les deux « frères ennemis » maghrébins. Elle donne un nouvel avantage au Maroc après la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental par les États-Unis (2020), l’Espagne (2021) et l’Allemagne (2022). Et elle contribue à isoler encore un peu plus l’Algérie, dont les relations sont rugueuses, chaotiques ou difficiles avec beaucoup de pays européens mais qui ne peut non plus rallier trop franchement le camp anti-occidental si elle veut continuer d’écouler ses hydrocarbures (qui représentent 93 % de ses exportations de marchandises et 38 % de ses recettes budgétaires).
Mais si la décision française, à la suite des autres, a d’indéniables effets sur le rapport de force régional, elle invite à élargir la focale en nous interrogeant sur le contexte international dans lequel elle s’inscrit. Ce contexte, c’est celui d’un monde instable et fracturé, d’un monde qui craque, dans lequel les appétits ne se cachent plus et la guerre entre États a fait son retour.
Dès 2022, l’agression russe en Ukraine a donné une importance renouvelée à la question des alliances. Et cela dans le temps comme dans l’espace. Dans le temps, c’est vrai pour le présent immédiat avec l’OTAN qui a retrouvé sa valeur et son sens aux yeux de beaucoup qui s’interrogeaient (jusqu’à diagnostiquer sa « mort cérébrale »), mais aussi pour l’avenir tant on constate que la multipolarité (vantée par les mêmes ces dernières années) signifie au vrai désordre et fragmentation du monde, sur fond d’affrontement de blocs. Dans l’espace, c’est vrai pour nous Occidentaux, qui sommes sur le reculoir à peu près partout sur la planète, autant que pour les puissances anti-occidentales. L’envoi de 12 000 soldats nord-coréens sur le théâtre ukrainien, les complaisances russes à l’égard de l’Iran dans le conflit qui l’oppose à Israël autant que le sommet des BRICS qui s’achève à Kazan prouvent que l’heure est aux convergences et aux soutiens appuyés.
Car les puissances qui nous sont hostiles sont à l’œuvre partout dans le monde. Il ne faut pas voir les théâtres déconnectés les uns des autres. Si, bel et bien, c’est une nouvelle « guerre froide » qui prend forme dans les combats en Ukraine, au Moyen-Orient et demain peut-être dans le détroit de Taïwan, chacun sera sommé de choisir son camp et les systèmes d’alliances redeviendront cruciaux.
De l’Indopacifique à la Méditerranée, en passant par le Moyen-Orient, une « internationale des bonnes volontés » doit s’élever contre l’alliance, informelle mais bien réelle, des puissances agressives et revanchardes. Des initiatives ont déjà été prises. C’est le cas du Quad dans la région indopacifique, alliance entre quatre pays (Japon, États-Unis, Australie et Inde) qui a vocation à devenir un acteur de poids face à la Chine. C’était le sens des accords d’Abraham, signés en septembre 2020 entre Israël, Bahreïn et les Émirats arabes unis et prolongé par l’annonce en décembre de la même année d’un accord de normalisation diplomatique entre Israël et le Maroc. Si la dynamique a naturellement été interrompue par la situation créée par le 7 octobre au Moyen-Orient, il est trop tôt pour affirmer qu’elle est définitivement compromise.
Sur notre flanc sud, le Maroc, pour y revenir, devra tenir une place singulière. La décision du 30 juillet et la visite d’État du président de la République doivent permettre de la lui reconnaître. Seul pays stable du Maghreb et des rivages de l’immense océan sahélo-saharien, il constitue une vigie incontournable sur des mondes en ébullition, traversés de tensions et de menaces, et dont nous sommes en cours d’évincement. Une vigie et un bastion, car le pays voit converger vers lui plusieurs arcs de crise. A l’Est de la Méditerranée, le Moyen-Orient vit au rythme de la rivalité entre Israël et l’Iran et son éventuelle déflagration consécutive à un conflit ouvert aurait d’importants effets au Maghreb et dans le bassin occidental de la Méditerranée. La Libye est devenue un condominium russo-turc aux portes de l’Europe. La Tunisie s’enfonce dans une lente glaciation autoritaire. Quant à l’Algérie, l’immobilisme ne saurait occulter l’usure du système politique. Sur ses frontières méridionales, le Maroc est confronté aux risques et aux menaces de la zone sahélo-saharienne, zone de tous les dangers où aucune solution politique ni locale, ni régionale n’émerge face au terrorisme islamique et à la décomposition politique.
Dans la profondeur du continent africain, la forte croissance démographique, la fragilité des structures étatiques et l’impéritie de bien des dirigeants se conjuguent pour alimenter une immigration grandissante vers le Maghreb, avant de franchir la Méditerranée et de gagner la vieille Europe. Bien sûr, la question migratoire peut être sujet de différends et même de vives tensions, comme on l’a vu entre l’Espagne et le Maroc au printemps 2021. Il convient de tenir un langage ferme et clair sur ce point (les pays du sud savent qu’il s’agit là de l’une de nos grandes fragilités). Mais il faut voir aussi comment la monarchie chérifienne, vaille que vaille, s’emploie à renforcer ses frontières, freinant ainsi la remontée vers le nord des migrants subsahariens. Il y a matière, assurément, à renforcer les coopérations en la matière.
Ce rapide tour d’horizon montre un fait nouveau pour nous autres Français, qui tardons à ouvrir les yeux : l’accession du Maroc au rang de première puissance régionale. Cela change notre manière d’appréhender le pays. Dans un système d’alliances occidentales à rebâtir et à raffermir, cela multiplie les potentialités d’une entente renforcée avec lui.