5 décembre 2024 • Opinion •
Alexandre Hogu, assistant de recherche à l’Institut Thomas More, vient de publier la note La Roumanie, un acteur ascendant au carrefour de l’Europe orientale et du bassin pontique.
Le dimanche 8 décembre, les Roumains sont appelés à choisir leur prochain président de la République. Ce choix pèsera lourd pour l’avenir stratégique du pays, au sein de l’OTAN en particulier. En effet, le premier tour des élections présidentielles du 24 novembre a vu la victoire surprise du candidat indépendant Calin Georgescu (22,94%) qui affrontera la candidate de l’USR Elena Lasconi (19,18%). Georgescu, souverainiste, a déclaré qu’il négocierait avec l’OTAN un retrait de la présence de l’Alliance sur le territoire, arguant qu’il ne veut pas d’escalade qui entraînerait la Roumanie dans la guerre russo-ukrainienne. De son côté, la candidate libérale Elena Lasconi est tenante de la position traditionnelle du pays depuis trente ans : un alignement avec les instances euro-atlantiques.
La guerre en Ukraine est évidemment un sujet prégnant dans la région. La Roumanie a été un acteur discret de l’aide occidentale depuis l’invasion du 24 février 2022. Pourtant, son soutien s’est révélé essentiel : entraînement de soldats ukrainiens sur son territoire, rôle dans la reconnaissance aérienne en profondeur, transfert d’équipements militaires occidentaux et aide aux populations touchées par la guerre, entre autres. Le pays a également été un acteur clef de l’accord céréalier de 2022 et est encore aujourd’hui une voie d’acheminement des exportations ukrainiennes. La Roumanie est enfin très attentive à la situation en Moldavie, où elle a renforcé son rôle de fournisseur d’énergie en 2024.
Le pays bénéficie d’une position géostratégique cruciale dans la région, au carrefour de l’Europe orientale et de la mer Noire. La présence de l’OTAN sur son territoire a été renforcée depuis plusieurs années (mission Aigle menée par la France, bouclier anti-missile américain à Deveselu, base militaire Mihail-Kogalniceanu qui deviendra en 2030 la plus grande base de l’Alliance en Europe, etc.). Cela s’est accompagné de crédits historiques accordés à l’armée afin de la moderniser. En effet, le pays utilise encore du matériel soviétique (chars, obusiers) qui est progressivement remplacé par du matériel et des armes américains, principalement. L’on remarquera néanmoins que la marine roumaine est délaissée au profit des éléments terrestres et aériens.
Le pays a toutefois d’autres atouts. La question de l’énergie en Roumanie a été prise à bras le corps par le ministre Sebastian Burduja. Exploitation de gisements gaziers en mer Noire, projets d’éoliennes en mer, entretien de l’unique centrale nucléaire du pays : la Roumanie a un grand potentiel énergétique à mettre en œuvre. Par ailleurs, la multiplication de projets, à l’image du « corridor vert », qui doit relier l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Hongrie et la Roumanie, répond au besoin européen de diversification de ses approvisionnements énergétiques. Néanmoins, de grandes lacunes pénalisent encore le pays, comme le manque et la vétusté des infrastructures de transport.
La rupture annoncée par le candidat Georgescu constituerait un coup d’arrêt à la montée en puissance de la Roumanie au sein des organisation euro-atlantiques. Elle a pourtant l’occasion de s’imposer comme un acteur régional essentiel. Les pistes ne manquent pas. Avec la Pologne, elle pourrait prendre l’initiative d’une alliance diplomatico-stratégique en Europe de l’Est face à la Russie et œuvrant à la stabilité régionale. En mer Noire, elle pourrait incarner une voie de contournement de la Turquie, dont la mainmise sur les détroits du Bosphore et des Dardanelles limite le déploiement de l’OTAN dans le bassin pontique, en promouvant l’utilisation du Danube comme voie de contournement. Enfin, sa position géographique tourne le pays vers la périphérie de l’Union européenne. En Transcaucasie, dans le cadre du Partenariat oriental, la Roumanie peut intensifier les échanges avec la Géorgie et l’Arménie afin de participer au basculement économique de ces pays vers l’Union.
Le 8 décembre sera donc une date importante pour le futur de la Roumanie. Le pays est un élément moteur de la région, qui a un rôle à jouer et à construire. Le programme de Calin Georgescu est marqué par sa rhétorique anti-occidentale : par exemple, il a qualifié de « honte à la diplomatie » le bouclier anti-missile installé sur la base de Deveselu, prêtée aux États-Unis. Sa vision et son programme marquent une déviation nette vis-à-vis du destin que s’est tracé la Roumanie depuis la révolution de 1991.
Les élections législatives, qui se sont tenues ce dimanche 1er décembre dans l’intervalle des deux tous de l’élection présidentielle, aboutissent à une assemblée nationale éclatée en sept partis différents. Le clivage entre euro-atlantistes et souverainistes, qui représentent désormais un peu plus de 30 % des sièges, est plus que jamais vif en Roumanie. Il faudra attendre l’issue des négociations politiques pour connaître l’orientation du prochain gouvernement.