Compétitivité · L’Union européenne face à ses contradictions

Tristan Audras, chercheur associé à l’Institut Thomas More

8 février 2025 • Analyse •


Le mercredi 29 janvier dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula Van der Leyen a présenté la feuille de route économique de l’Union européenne pour les prochaines années. Dans un contexte de durcissement de la compétition économique mondiale, cette « boussole » s’appuie largement sur les conclusions du rapport Draghi qui soulignait, en septembre dernier, le retard économique important pris par le continent vis-à-vis des puissances chinoise et américaine.

Face aux défis qui s’annoncent, la présidente de la Commission propose un programme ambitieux pour 2025. Mais sa volonté de réforme ne prend pas la mesure réelle des obstacles qui se dressent devant nous. Les mesures annoncées sont pusillanimes, souvent partielles, parfois même contradictoires.

La poursuite de la politique d’intégration : une ambition plus politique qu’économique

A la suite du rapport Draghi, la Commission européenne constate la faible part de leaders européens parmi les grandes capitalisations boursières, notamment dans des secteurs d’avenir (IA, datas, énergies, etc.). Celle-ci s’expliquerait par la difficulté des nombreuses start-ups européennes à se développer notamment du fait des écarts de réglementations et des faibles leviers de financement. L’Europe ne serait donc pas compétitive car constituée non pas d’un mais de vingt-sept marchés.

Ce constat, qui rejoint la rhétorique classique des partisans d’une Europe plus fédérale, est en réalité historiquement discutable. D’après les données de la Banque mondiale, le PIB de l’Union européenne a augmenté de 151 % en trente ans quand celui des États-Unis a progressé de 319 %. Les premières harmonisations liées au marché commun n’ont donc pas permis à l’Europe de maintenir son rang, au contraire. Par ailleurs, la croissance des leaders mondiaux ne dépend pas d’abord de la taille de leur marché intérieur. Avec 345 millions de consommateurs les États-Unis sont bien loin du marché intérieur chinois ou indien et pourtant représentaient, au 31 mars 2024, 72 % de la capitalisation des cent premières entreprises mondiales. Inversement, de plus petits pays comme la Corée du Sud savent tirer leur épingle du jeu.

L’unification du marché européen constitue donc une ambition plus politique qu’économique. Elle poursuit l’intégration à « petits pas » en réduisant le pouvoir des États sans apporter de réelles garanties économiques pour l’avenir.

L’assouplissement des règles de la concurrence : un premier demi pas

Face au durcissement de la compétition économique, le rapport Draghi préconise des investissements importants dans plusieurs secteurs stratégiques. Pour favoriser l’émergence de leaders européens, Ursula Van der Leyen propose de revoir les critères de fusions des entreprises dans l’Union européenne afin d’y intégrer une évaluation des bénéfices en termes d’innovation.

Cette proposition constitue un premier demi pas notable au regard de la politique historique de l’Union. On se souvient que, dans son refus de la fusion entre Alstom et Siemens en 2019 par exemple, la Commission n’avait pris en compte que les intérêts du consommateur et des entreprises clientes. Cette nouvelle annonce apparaît comme une prise de conscience, voire un aveu, du caractère naïf de son approche économique. Elle demeure cependant insuffisante dans la mesure ou le principe concurrentiel est gravé dans le marbre des traités. C’est tout l’édifice de la « politique de concurrence » qu’il faut mettre en cause. C’est tout le paradigme sur lequel est construit l’institution qu’il faut revoir, non simplement ajouter quelques critères à la marge.

Un changement de paradigme est également attendu dans le domaine des subventions publiques. A l’image de la Chine ou des États-Unis, sous l’administration Biden autant que sous l’administration Trump, les grandes puissances ne se privent pas de soutenir leur industrie. Or, l’article 107 du traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit explicitement aux États européens de le faire. L’UE vient certes d’annoncer des aides publiques ciblées mais celle-ci seraient destinées à favoriser la transition verte des industries. Un demi pas, encore.

Une approche énergétique contradictoire avec les orientations politiques précédentes

La présidente de la Commission a, enfin, proposé un plan pour réduire le coût de l’énergie. Depuis la guerre d’Ukraine et l’augmentation du prix du gaz, l’électricité coûterait environ quatre fois plus cher en Europe qu’aux États-Unis, nous dit-elle. Comme si les choix catastrophiques de l’Union autant que de ses États membres (création d’un marché européen de l’énergie, stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre, engagement massif dans les énergies renouvelables, promotion de la sortie du nucléaire) n’en étaient pas les premiers responsables. Hélas, dans la lignée du Pacte vert européen, le plan mise principalement sur la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles par le développement, entre autres, des énergies renouvelables !

Le pari des énergies renouvelables, qui doivent atteindre 42% du mixte énergétique européen en 2030, apparait pour le moins contradictoire avec les objectifs industriels annoncés par l’UE. Dans un rapport publié il y a un an, le chercheur Cyrile Dalmont montre que « l’engagement massif dans le renouvelable représente un surcoût d’investissement considérable pour les contribuables européens, entre 2,5 et 5 fois supérieurs à celui que représenterait la filière nucléaire, pour une production entre 4 et 8 fois inférieure ». Depuis les années 1990, l’Union européenne fait le choix de la sobriété énergétique, alors même qu’on observe une corrélation très forte entre croissance du PIB et croissance de la consommation d’énergie.

Une cohérence dans les choix politiques est primordiale pour soutenir nos ambitions. Un vrai plan de production énergétique devrait être la priorité de la Commission.