Stargate · L’IA, porte d’entrée vers une économie spatiale ?

Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

17 février 2025 • Analyse •


Les États-Unis accélèrent dans l’IA et cherchent à entériner leur domination technologique de manière définitive. Pendant ce temps, l’Union européenne s’entête dans une frénésie réglementaire, multipliant les textes censés encadrer le développement de l’économie numérique. Un entêtement qui peut coûter cher car l’IA est la porte d’entrée vers l’économie spatiale.


Alors que l’Union européenne s’entête dans une frénésie réglementaire, multipliant les textes censés encadrer le développement de l’économie numérique — un secteur qui représente désormais près de 35 % des capitalisations boursières mondiales, devant l’énergie, la banque ou la finance —, les États-Unis accélèrent et cherchent à entériner leur domination technologique de manière définitive.

Le 21 janvier dernier, le président Donald Trump a annoncé le lancement du programme « Stargate », un projet titanesque de 500 milliards de dollars sur quatre ans, soutenu par certains des plus grands acteurs du secteur (OpenAI, SoftBank et Oracle notamment). Son objectif : consolider la domination américaine sur l’intelligence artificielle et rendre toute concurrence technologique inatteignable pour les autres puissances.

Avec Stargate, les États-Unis ne cherchent pas qu’à creuser l’écart technologique : ils veulent aussi imposer leurs règles et verrouiller leur domination numérique. Pendant ce temps, l’Union européenne s’auto-condamne à la récession. Quant à la Chine, elle tente de mobiliser son complexe militaro-industriel mais, derrière des annonces souvent tapageuses, la réalité est que la capitalisation de l’écosystème numérique chinois ne pèse pas plus de 7 % de celui des États-Unis.

Ce qui mérite attention est que cette offensive ne repose pas uniquement sur des investissements colossaux. Les États-Unis entendent déployer une stratégie intégrale où réglementation, puissance industrielle et domination énergétique se combinent pour asseoir l’hégémonie américaine. C’est cette combinaison qu’il convient d’analyser.

Stargate : une stratégie intégrale au service de l’hégémonie américaine

Dès son investiture, Donald Trump a proclamé une « urgence énergétique nationale », affirmant avec sa fougue caractéristique : « Nous allons forer, forer, forer ». Cette déclaration s’est immédiatement traduite par un assouplissement massif des restrictions environnementales, la réouverture des zones protégées aux forages et une accélération de l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste.

Tournant résolument le dos aux dogmes écologiques et aux théories décroissantes qui rationnent l’énergie, les États-Unis assument une stratégie d’abondance énergétique, indispensable pour soutenir les infrastructures numériques ultra-énergivores que requiert l’IA à grande échelle.

Donald Trump a également annoncé de nouveaux droits de douane sur des produits clés tels que les semi-conducteurs, l’acier, l’aluminium et le cuivre dans une logique de relocalisation massive des industries technologiques: « Pour éviter de payer des taxes ou des droits de douane, il faut construire son usine ici en Amérique ».

Cette politique produit déjà ses effets. Le géant taïwanais des microprocesseurs TSMC a déjà investi 65 milliards de dollars dans trois usines aux États-Unis. Il vient d’annoncer que dès cette année, une partie de la production de ses puces les plus avancées (2 nm) sera délocalisée sur le sol américain. Un atout stratégique majeur pour les États-Unis, puisque TSMC est aujourd’hui le seul fabricant au monde capable de produire ces puces ultra-miniaturisées. Et Apple lui a emboîté le pas en confirmant que ses futures puces de la série A seront produites en série aux États-Unis, dans la nouvelle usine de TSMC en Arizona. Un signal fort, qui marque le début d’un vaste plan de relocalisation de la production d’iPhone sur le sol américain.

Dans cette logique, l’administration Trump a également durci les restrictions à l’exportation des puces avancées, essentielles aux modèles d’IA. Les processeurs GPU de dernière génération sont désormais strictement interdits de vente à la Chine, à la Russie, à l’Iran et à la Corée du Nord, considérés comme des adversaires stratégiques. Objectif : empêcher ces régimes d’utiliser ces technologies pour des applications militaires, cybernétiques ou de surveillance de masse.

En revanche, les 18 principaux alliés des États-Unis (dont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon et la Corée du Sud) peuvent pour le moment continuer à importer ces technologies, sous réserve de répondre à des critères de sécurité stricts et d’obtenir des licences pour les commandes de grande envergure. En verrouillant l’accès aux technologies critiques, en finançant un écosystème d’IA surpuissant et en garantissant une production énergétique massive, les États-Unis s’assurent une avance économique décisive.

Enfin, l’administration Trump prévoit un allégement massif de la fiscalité pour renforcer l’attractivité du territoire. Le taux d’imposition des sociétés sera réduit de 21 % à 15 % pour les entreprises qui fabriquent aux États-Unis. Parallèlement, Washington se retire de l’accord OCDE sur l’impôt minimum mondial des multinationales, signant ainsi la fin de toute contrainte fiscale supranationale et accentuant son avantage compétitif.

L’économie spatiale, champ de bataille de demain

Et ce n’est pas tout, car l’ensemble de ces mesures s’inscrit dans un objectif affiché plus vaste : la conquête de Mars, qui ouvre par extension la voie à l’exploitation des ressources illimitées de l’espace. Lors de son investiture, Donald Trump a affirmé : « Nous poursuivrons notre destinée manifeste vers les étoiles, en envoyant des astronautes américains planter les étoiles et les bandes sur la planète Mars ». On peut toujours traiter cette affirmation avec mépris et condescendance. Mais prudence. Elle n’est pas qu’un simple coup d’éclat. Elle repose sur une vision stratégique où la domination technologique et énergétique des États-Unis s’étend désormais au-delà de la Terre.

La question de la pénurie des terres rares, aujourd’hui essentielles aux microprocesseurs, constitue un levier clé de l’avantage comparatif chinois, qui en contrôle aujourd’hui entre 60 et 70 % de la production. Mais cet avantage pourrait s’effondrer si les États-Unis développent la capacité d’exploiter les ressources minières de la Lune, de Mars et des astéroïdes. Dans cette perspective, l’intelligence artificielle, l’énergie et le contrôle des semi-conducteurs ne sont pas seulement des instruments de puissance économique et militaire, mais les clefs d’un basculement où les États-Unis entendent dominer non seulement la Terre, mais aussi l’économie spatiale émergente.

Pour y parvenir, l’IA et la robotique avancée sont indispensables. L’IA sera le cerveau de cette expansion, optimisant les trajectoires spatiales, anticipant les risques des missions autonomes et concevant de nouveaux matériaux capables de résister aux conditions extrêmes de l’espace. Les robots quant à eux permettront l’extraction, le tri et la transformation des minéraux, l’IA leur permettant une certaine autonomie opérationnelle. Sans intelligence artificielle avancée, aucune exploitation minière extraterrestre n’est viable. Pas d’humains sur Mars sans robots autonomes. Pas de robots sans IA.

Les premières versions existent déjà, Tesla développe ses humanoïdes, et d’autres suivront pour assurer une exploitation industrielle sans intervention humaine.

Tout cela n’est pas de la fiction. L’économie spatiale est l’un des champs de bataille de demain. Le programme Stargate ne verra peut-être pas toutes ses ambitions réalisées. Mais, comme la guerre des étoiles (de son vrai nom, la Strategic Defense Initiative) lancée par président Ronald Reagan en 1983, il place les États-Unis en position offensive.

Pendant ce temps-là, Thierry Breton, ex-commissaire européen au numérique désormais reconverti dans la finance américaine, continue d’affirmer que « l’Union européenne n’est pas en retard sur les semi-conducteurs ». Les chiffres racontent pourtant une autre histoire. Année après année, l’Europe perd du terrain. Mais Bruxelles s’accroche à sa seule réponse habituelle : « Il faut plus d’Europe ». Les résultats suivront… un jour, peut-être.