Nouvelles taxes américaines : les barrières douanières pourraient recomposer la carte du commerce mondial

Tristan Audras, chercheur associé à l’Institut Thomas More

5 mars 2025 • Analyse •


Si la guerre commerciale intensifiée par Donald Trump vis-à-vis de la Chine ainsi que dans toute l’Amérique du Nord surprend par son ampleur, il n’est pas dit qu’elle bénéficie au marché intérieur américain, analyse l’économiste Tristan Audras, chercheur associé à l’Institut Thomas More.


Lundi 3 mars, Donald Trump a signé un décret portant à 20 % les droits de douane sur les produits chinois, contre 10 % jusqu’ici. il a aussi confirmé l’entrée en vigueur, dès ce mardi, d’un prélèvement de 25 % sur toutes les importations provenant du Mexique et du Canada. Cette soudaineté surprend-elle les pays visés ?

Si l’on en croit la rapidité avec laquelle ces pays ont répliqué, il semblerait qu’ils n’ont pas vraiment été surpris par cette annonce. Outre que Donald Trump l’avait fréquemment évoquée durant sa campagne, il ne s’agit pas d’un cas isolé dans l’histoire récente. Depuis la création de l’OMC en 1995, les États-Unis ont déjà plusieurs fois utilisé certaines protections prévues par le droit pour augmenter leurs tarifs douaniers. En 2002, par exemple, l’administration Bush avait invoqué la clause de sauvegarde pour « sauver » la sidérurgie américaine. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait aussi prétexté une menace pour la « sécurité américaine » afin de taxer l’acier et l’aluminium en provenance de l’Union européenne. C’est donc moins la rapidité de la décision qui étonne que son ampleur et les raisons invoquées. Tous les produits chinois, canadiens et mexicains sont visés, au motif que ces trois pays ne lutteraient pas assez contre le trafic de fentanyl. La raison est bien maigre.

Les produits énergétiques canadiens seront taxés « seulement » à hauteur de 10 %. Pourquoi cette exception ?

Cette différence s’explique par le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis du Canada. En 2023, le solde américain sur les hydrocarbures était déficitaire d’environ 127 milliards de dollars par rapport à son voisin, les États-Unis étant battus dans tous les domaines sauf pour l’éthane et les produits pétroliers raffinés. Cette dépendance implique de la prudence de la part de l’administration Trump, dans la mesure où l’énergie constitue une consommation intermédiaire fondamentale pour l’industrie. L’exemple du pétrole est intéressant. Certes, les États-Unis sont le premier pays producteur de pétrole brut du monde (plus de 13 millions de barils par jour en 2024) mais ils sont aussi l’un des principaux importateurs. En 2023, ils ont importé pour environ 3,8 millions barils par jour depuis le Canada. Les États-Unis produisent principalement du pétrole de schiste, un pétrole léger, qui n’a pas toujours les mêmes utilisations industrielles que le pétrole conventionnel. Par ailleurs, il est impossible de revoir du jour au lendemain les chaînes d’approvisionnement de l’industrie, surtout dans un pays aussi grand que les États-Unis. Surtaxer l’énergie paraît donc dangereux.

Dans la foulée de cette annonce, la Chine s’est montrée prête à la riposte en promettant des droits de douane supplémentaires de 15 % sur le poulet, le blé, le maïs et le coton américains, et de 10 % sur d’autres produits. La guerre commerciale entre Pékin et Washington monte-t-elle d’un cran ? Quant au Canada et au Mexique, quelles cartes ont-ils en main pour répondre ?

La guerre commerciale monte indubitablement d’un cran, non seulement entre Washington et Pékin mais aussi dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Après la Chine qui a annoncé des mesures de rétorsion, le Canada a décidé d’imposer des droits de douane de 25 % sur 30 milliards de dollars d’importations américaines. Les produits concernés sont, entre autres, le jus d’orange, le beurre d’arachide, les spiritueux, le vin, la bière et le café. Par ailleurs, le pays à la feuille d’érable a demandé et à ses citoyens de consommer en priorité des produits nationaux et évoqué des mesures de soutien aux entreprises. Le Mexique a aussi souligné son intention de contre-attaquer sans préciser toutefois la manière. Si elles étaient maintenues, les barrières douanières recomposeraient sans doute la carte du commerce international, les États-Unis prenant le risque de voir de nouveaux axes commerciaux se développer sans eux.

« Aux grands agriculteurs des États-Unis : préparez-vous à commencer à fabriquer beaucoup de produits agricoles destinés à être vendus à l’intérieur des États-Unis », a écrit Donald Trump sur son réseau Truth Social, lundi. Pourtant, les producteurs américains ont-ils vraiment intérêt à ces barrières douanières ?

Tout dépend des capacités d’adaptation des producteurs américains. Pour la théorie économique classique, le libre-échange est toujours avantageux car il permet de bénéficier des avantages comparatifs de chaque pays. Dès le XIXe siècle, des économistes comme David Ricardo ont montré que la spécialisation engendrait des gains de productivité et donc une baisse des prix mutuellement bénéfique. Toutefois, leurs théories s’inscrivent dans une logique libérale, parfois très éloignée des réalités politiques. Il peut être bénéfique pour un pays de protéger ses industries ne serait-ce que pour des questions d’emplois ou d’indépendance stratégique.

Pour les États-Unis, il faudra donc comparer les coûts supplémentaires générés par les droits de douane (hausse des prix, baisse des exportations, etc.) et les gains liés à la création d’emploi ou à la perception des taxes. Donald Trump mise sans doute sur la taille de son marché intérieur et sur la capacité d’adaptation de ses entreprises. Il espère notamment que ses agriculteurs pourront se diversifier et compenser la baisse de leurs exportations par de nouveaux débouchés nationaux. C’est un pari risqué. En 2002, les décisions de Bush concernant l’acier avaient entraîné la destruction de 200 000 emplois dans le pays.

Quoi qu’en dise leur président, les consommateurs américains n’ont-ils pas des motifs d’inquiétude, alors que l’inflation menace de repartir à la hausse ?

L’augmentation des tarifs douaniers générera très probablement de l’inflation, au moins à court terme. Étant protégés de la concurrence étrangère, les producteurs américains seront déjà incités à augmenter leurs prix, engendrant de fait une baisse de pouvoir d’achat pour le consommateur. Par ailleurs, aucun pays n’est aujourd’hui en mesure de vivre en autarcie. Pour certaines productions, il est obligé de se fournir partiellement ou complètement à l’étranger (matières premières, énergies, etc.) qu’il le veuille ou non. Enfin, la possibilité d’une production nationale n’implique pas une forte productivité. Le manque de capital humain, de connaissances technologiques ou les défauts d’organisation du travail sont, par exemple, des facteurs qui peuvent générer des surcoûts, d’où l’intérêt d’importer. Pour l’instant, les droits de douane ne concernent certes pas toutes les importations américaines mais plusieurs entreprises ont déjà annoncé des hausses de prix notamment les supermarchés Target.

Alors que Donald Trump menace l’industrie européenne d’une surtaxe à 25 %, quelles sont les marges de manœuvre dont dispose l’Europe ?

Les menaces de Donald Trump révèlent un changement de paradigme dans les relations économiques mondiales. L’historien et économiste Arnaud Orain parle dans son dernier livre de l’entrée dans une phase de « capitalisme de la finitude ». Il signifie par-là, comme au XVIe siècle par exemple, la sortie d’un capitalisme libéral et le retour à une vision plus conflictuelle des échanges, notamment autour des ressources critiques.

La Chine et les États-Unis sont déjà entrés dans cette logique, contrairement à l’Union européenne qui maintient une vision un peu naïve des échanges commerciaux. Les marges de manœuvre de l’Union européenne sont, à court terme, les mêmes que celles du Mexique ou du Canada, c’est-à-dire des mesures de rétorsion prévues et autorisées par l’OMC. À long terme, il lui faudra repenser ses chaînes d’approvisionnement et son indépendance économique, surtout dans les domaines stratégiques comme l’énergie.