Covid, 5 ans après · Qui a tiré le bilan des atteintes aux libertés publiques ?

Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

19 mars 2025 • Entretien •


État d’urgence sanitaire, confinements, couvre-feu, passe sanitaire puis vaccinal… Impossible d’être exhaustif tant la liste des atteintes aux libertés publiques fut longue pendant la crise sanitaire. Cyrille Dalmont analyse le bilan de la période Covid.


Les mesures de contrôle imposées pendant la pandémie, telles que les confinements et les restrictions de déplacement, ont-elles entraîné un renforcement du contrôle social ? Quels en ont été les impacts à long terme ? Quelles ont été les principales atteintes aux libertés publiques pendant la pandémie à la suite de ces décisions, notamment sur les enjeux liés au numérique ?

Il est évident que la crise du Covid-19 a été l’occasion de la mise en place d’un laboratoire grandeur nature quant à l’acceptabilité par les populations des restrictions massives de libertés. Les différents confinements, le couvre-feu, les attestations et le pass sanitaire ont remis en question l’idée même de liberté de circulation et ont conditionné la population à une forme d’obéissance administrative et numérique. Les Français se sont retrouvés soumis à un régime d’autorisation préalable pour exercer plusieurs libertés fondamentales, notamment la liberté de circulation.

La liberté d’expression et d’information a également été affectée par des formes de censure concernant les remises en cause, notamment de la dangerosité de la pandémie ou du virus, de l’action du gouvernement pour lutter contre la pandémie, ou encore des priorités en matière de vaccination. L’apparition de la plateforme gouvernementale « Désinfox Coronavirus », supprimée sous la pression politique et médiatique, illustre parfaitement le principe de la censure préalable. Officiellement présentée comme un outil de « fact-checking », elle visait en réalité à filtrer et marginaliser toute information ne correspondant pas aux communiqués gouvernementaux sur la pandémie. Les grandes plateformes numériques ont subi une pression gouvernementale et institutionnelle forte pour supprimer ou déréférencer des contenus jugés contraires à la communication officielle sur la pandémie, en France comme ailleurs. De nombreux articles, vidéos et publications ont été soit effacés, soit signalés comme « suspects », parfois sans justification scientifique claire. Des chercheurs, des médecins et des journalistes ont vu leurs analyses censurées ou marginalisées, non pas pour des propos juridiquement condamnables, mais simplement parce qu’ils remettaient en cause certains choix stratégiques du gouvernement.

Le « pass sanitaire » a également constitué une atteinte majeure à la vie privée, en instaurant une obligation de prouver son statut de santé pour accéder à des espaces publics. Plus largement, la crise sanitaire a été marquée par des expérimentations inquiétantes de surveillance numérique des citoyens. Par exemple, des autorités ont envisagé, voire testé, des dispositifs technologiques permettant de détecter les regroupements interdits dans les appartements, notamment via la surveillance des flux de téléphonie mobile.

Durant la pandémie, l’interdiction des manifestations et des rassemblements a constitué une atteinte majeure aux libertés de réunion et d’association, touchant aussi la liberté syndicale. Mais au-delà de ces restrictions temporaires, la crise a surtout permis d’instituer une nouvelle norme : celle de l’autorisation préalable pour exercer certaines libertés fondamentales. Ce qui relevait autrefois d’un droit garanti est désormais conditionné à une validation administrative ou numérique. Ce basculement a été illustré par l’usage massif des QR codes, initialement introduits dans le cadre du « pass sanitaire », mais qui se sont ont ensuite déployés sur les documents d’identité. Si leur généralisation était en partie prévue avant la pandémie, la crise a permis d’accélérer leur intégration et de familiariser les citoyens à une logique de contrôle systématique.

A-t-on observé lors de la période du Covid des abus dans l’application des mesures de contrôle, notamment avec l’utilisation des auto-attestations ou des pratiques liées aux confinements sans fondements scientifiques ou juridiques, comme le fait d’avoir interdit l’accès aux plages ?

La pandémie a donné lieu à un véritable festival d’abus administratifs, où chaque nouvelle mesure semblait rivaliser d’absurdité avec la précédente. Le régime des auto-attestations, l’interdiction d’aller sur les plages, l’interdiction de bronzer mais la possibilité de s’y promener, l’alternance absurde entre l’autorisation de prendre un café debout mais pas assis (ou inversement)…

Mais au-delà du ridicule, c’est surtout la disproportion dans l’application des sanctions qui pose un problème. Entre mars 2020 et juillet 2022, selon le ministère de l’Intérieur, 2,7 millions d’infractions liées au Covid ont été recensées, soit un chiffre colossal, bien supérieur à celui de nombreuses infractions pénales bien plus graves. À titre de comparaison, des faits comme la possession d’une arme blanche ou des agressions physiques et verbales ne donnent pas systématiquement lieu à des amendes ou à des poursuites. Cela traduit une logique perverse où l’État a été fort avec les faibles et faible avec les forts.

Cette inégalité s’est aussi traduite géographiquement. Dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis, les amendes pour non-respect des restrictions ont été bien moins appliquées, et les couvre-feux largement ignorés. Cette disparité montre que ces mesures n’étaient pas seulement absurdes : elles ont aussi été appliquées de façon profondément inégalitaire.

La gestion de la crise par le gouvernement français sous Emmanuel Macron a-t-elle entraîné des atteintes graves aux libertés publiques, notamment en ce qui concerne la restriction de certains droits fondamentaux ? Dans quelle mesure la théorie des circonstances exceptionnelles a-t-elle été utilisée pour justifier certaines décisions pendant la pandémie ? Cette théorie a-t-elle été trop utilisée au détriment de la protection des libertés publiques ?

Il est important de noter que cela ne se limite pas à la gestion de cette crise spécifique par Emmanuel Macron. Il s’agit d’un processus qui couvre une longue période, ayant commencé sous le mandat de François Hollande, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. Les Français ont déjà vécu plusieurs états d’urgence et différents recours aux circonstances exceptionnelles. Mais avec la pandémie, un cap inédit a été franchi.

Ce qui frappe dans la gestion juridique de la pandémie, c’est l’abandon progressif des garanties protectrices des libertés publiques par les deux plus hautes juridictions françaises. Historiquement, le Conseil d’État a toujours eu une approche souple des circonstances exceptionnelles, justifiant des restrictions au nom de l’efficacité administrative. À l’inverse, le Conseil constitutionnel a longtemps été perçu comme un contrepoids, plus strict dans l’arbitrage entre l’urgence et la préservation des droits fondamentaux. Or, la crise sanitaire a fait sauter ce verrou. Pour la première fois, les deux juridictions ont validé, presque sans réserve, des restrictions massives aux libertés, alignant leur jurisprudence sur une logique de légitimation de l’état d’exception. Ce rapprochement marque une rupture inédite : ce qui relevait autrefois de mesures exceptionnelles et temporaires est progressivement devenu un mode de gouvernance normalisé. La pandémie a donc servi de précédent, ouvrant la voie à une gestion de crise où les libertés ne sont plus des principes intangibles, mais des variables ajustables selon les décisions du pouvoir exécutif.

La gouvernance française a été assurée par le Conseil de défense sanitaire, ce qui était particulièrement étrange, entraînant un effacement quasi total du Parlement, de ses représentants et des organisations de contrôle de l’État. Durant la pandémie, le pays a été gouverné par décrets et circulaires, validés systématiquement par le Conseil d’État tandis que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a alerté le gouvernement à cinq reprises, sans obtenir de réponse. Le gouvernement a donc ignoré ces alertes et a choisi une méthode de gouvernance qui semblait plaire à Emmanuel Macron, car il bénéficiait de presque tous les pouvoirs, sans que le pays ne soit en période de guerre. Un exemple frappant de cette situation a eu lieu en avril 2022, lorsque, malgré le recul de l’épidémie, le gouvernement a décidé de prolonger l’état d’urgence.

A l’heure du bilan et des cinq ans de la pandémie, comment envisager la possibilité de retrouver les libertés publiques perdues durant la crise ? Y a-t-il un risque réel que de telles restrictions se reproduisent à l’avenir lors d’une nouvelle crise sanitaire, économique ou liée à la défense ?

Il est essentiel de comprendre que toute atteinte aux libertés publiques, une fois instaurée, est extrêmement difficile à inverser. L’histoire récente l’a montré : à l’image de l’état d’urgence terroriste, ce qui devait être une mesure temporaire s’inscrit progressivement dans la durée. Justifié par l’urgence, ce régime d’exception a fini par être intégré dans le droit commun via le code de la sécurité intérieure. Autrement dit, une restriction adoptée sous prétexte de crise tend presque toujours à devenir une norme permanente.

Ce schéma risque de se reproduire avec les outils mis en place durant la crise sanitaire, notamment le pass sanitaire. Nous en avons déjà eu un aperçu lors des Jeux olympiques, avec le retour des QR codes et des autorisations préalables pour circuler dans certains quartiers de la capitale. Ce qui était présenté comme une nécessité ponctuelle devient ainsi un mode de gestion standardisé, appliqué bien au-delà du cadre sanitaire initial.

Aujourd’hui, personne ne sait exactement ce qu’est devenu cet outil, où ont stockées les données, ni s’il sera réutilisé pour une éventuelle autre crise. Une crise climatique pourrait entraîner la création d’un pass écologique ou d’un pass carbone pour réguler les déplacements. Des restrictions concernant l’énergie pourraient être déployées. En 2022, au début de la crise ukrainienne, des propositions ont été faites au Parlement pour limiter directement la consommation des ménages via leurs compteurs connectés. Bien que ces idées n’aient pas été mises en œuvre, elles ont été sérieusement envisagées. Enfin, l’identité numérique européenne, qui est en train de se déployer dans tous les pays membres de l’Union européenne, pourrait également être liée à un système de traçage numérique des citoyens via leurs documents d’identité et leurs smartphones. De futures atteintes aux libertés publiques sont à redouter si personne ne se saisit réellement de la question.