Municipales · Pourquoi généraliser le scrutin de liste dans les petites communes est une mauvaise idée

Yves d’Amécourt, viticulteur, membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

9 avril 2025 • Opinion •


Alors que le Parlement vient de voter l’extension du scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants pour les municipales, Yves d’Amécourt, ancien élu local de Gironde (conseiller général, maire de Sauveterre-de-Guyenne, président d’EPCI, conseiller régional), viticulteur, référent agriculture-environnement de Nouvelle Énergie et membre du conseil d’orientation de l’Institut Thomas More ; s’inquiète d’une mesure qui restreindrait la liberté des électeurs et affaiblirait la légitimité des élus.


« La commune est la cellule maternelle de toute démocratie », écrivait Tocqueville. La France est un pays de villages, de bourgs et de bourgades, de terroirs vivants. C’est là que la République a pris racine, là que la démocratie s’est inventée au quotidien, humaine, accessible, durable, loin du tumulte des grandes villes.

Pendant douze ans, en Gironde, j’ai été maire de Sauveterre-de-Guyenne, une commune de 1900 habitants. J’ai vécu deux époques : celle d’avant, où l’électeur pouvait choisir librement ses 19 conseillers municipaux en rayant, en ajoutant des noms ; et celle d’après, où un scrutin de liste imposait son carcan et son fléchage automatique vers l’intercommunalité.

Ce changement n’a rien amélioré. Il a simplement rogné la liberté des électeurs et entamé la légitimité des élus. Dans nos petites communes, où la politique est affaire d’hommes, de femmes, de confiance et de projets, imposer les listes bloquées et la proportionnelle n’a aucun sens. On veut plaquer une mécanique partisane, pensée pour les métropoles, sur des réalités humaines infiniment plus fines. Quel choix, quelle liberté restera-t-il aux électeurs dans les 18 000 communes où il n’y a qu’une seule liste de candidats ? Quel intérêt de voter quand on n’a pas le choix ? D’année en année, à force de restreindre la liberté électorale, on assèche la participation et l’engagement.

Enfant, je me souviens que ma mère, qui n’était jamais candidate, recueillait toujours quelques dizaines de voix à Avoise, commune de la Sarthe. Cela mettait en rage mon père qui, lui, était candidat, et souvent élu à une poignée de voix près. Le soir des élections, le dépouillement s’effectuait dans l’école communale, à côté de la mairie, que l’on avait déménagée pour l’occasion. Il y avait beaucoup d’observateurs du scrutin dedans et beaucoup de monde dehors. Les enfants accompagnaient leurs parents. Le dépouillement était interminable, mais c’était important : le choix des conseillers municipaux pour six ans. Il me semble que là battait le cœur de la commune. Après la proclamation des résultats, tout le monde se rendait au restaurant « Les Jolis Coteaux », chez Maurice Loiseau, pour fêter la victoire des uns et consoler les autres. Le lendemain, les heureux élus recevaient la note !

La démocratie ne se décrète pas, elle se pratique. Elle se vit au ras du sol, dans la fierté de choisir ses conseillers. Ils choisiront ensuite le maire et les représentants à l’intercommunalité. La légitimité d’un maire élu par son conseil municipal, la légitimité d’un conseiller communautaire élu par ses pairs, seront d’autant plus fortes que chaque conseiller aura lui-même été librement élu au suffrage universel direct.

Ce qui est impossible dans les grandes villes est encore possible dans les villages. Pourquoi vouloir l’interdire ? Je suis surpris de voir que l’AMRF (Association des maires ruraux de France) soutient cette réforme. Car sur le terrain, à chaque rencontre, chaque maire de petite commune me le dit : c’est une erreur.

On prétend que la proportionnelle favorise la parité. Mais elle protège surtout les têtes de liste et les appareils. Regardez l’élection des sénateurs : plus de listes, moins de choix, moins de débats. Quel serait le taux de participation si le vote n’était pas obligatoire et l’abstention sanctionnée par une amende ?

« La démocratie est la rencontre de l’égalité et de la liberté », écrivait encore Tocqueville. À vouloir tout encadrer, tout verrouiller, nous trahissons cette double exigence. Laissons respirer nos communes. Laissons vivre la démocratie là où elle est encore libre.