Robot Optimus de Musk · Ce big bang qui vient

Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

9 avril 2025 • Analyse •


Cyrille Dalmont explique pour Le Point comment L’humanoïde dopé à l’IA de Tesla va à la fois transformer nos interactions sociales et propulser les États-Unis dans une nouvelle ère industrielle.


Plusieurs exemplaires du robot humanoïde Optimus, conçu par Tesla, ont été présentés le 24 mars dernier lors d’un symposium. À cette occasion, les équipes d’Elon Musk ont exhibé les dernières avancées du robot : pliage de vêtements, déplacements autonomes, reconnaissance d’objets, manipulation d’ustensiles de cuisine, etc.

Musk a réaffirmé son ambition : produire des milliers d’unités du robot dès cette année et faire d’Optimus un produit de grande consommation à l’échelle mondiale. Si les premiers prix annoncés oscillent encore entre 20 000 et 30 000 dollars, Musk vise une diminution rapide du coût de l’objet, grâce à la production de masse. Les futures versions du robot pourraient ainsi être commercialisées autour de 10 000 dollars, voire 5 000 selon certaines sources.

Optimus, ou la délégation de l’effort

Derrière l’innovation, c’est un tout autre enjeu qui est en cause. Car ce robot n’est pas qu’un outil. Il est le reflet d’un basculement social majeur : celui d’une humanité qui se prépare à déléguer de plus en plus ses relations, ses contraintes, ses responsabilités – et bientôt son apprentissage – à des machines. En effet, au-delà de la prouesse technique, c’est un basculement civilisationnel qui se dessine. Certains le répètent depuis des années, mais il n’est pas sûr que la grande masse des citoyens en ait une conscience claire.

Optimus ne s’adresse pas à des ingénieurs, des techniciens, ni des chercheurs. Il s’adresse aux instincts de lassitude de sociétés individualistes, partout sur la planète, qui veulent de moins en moins se charger de l’essentiel et de l’accessoire de ce qui fait la vie humaine : nos enfants, nos anciens, la maladie, mais aussi les contraintes et les efforts du quotidien. Musk ne vend pas un outil. Il propose un soulagement, celui de pouvoir dire « ce n’est plus à moi de le faire »…

Au fil de ses interventions, Elon Musk ne cache pas ses intentions : son robot sera capable d’aider les personnes âgées, de surveiller les enfants, de cuisiner, de ranger la maison, de travailler en usine ou de servir dans des restaurants. Une extension silencieuse mais implacable de la logique d’automatisation. Et avec elle, une nouvelle économie de la délégation : délégation de l’effort, du lien, du soin. La promesse d’Optimus repose sur un discours implicite : « Ce qui vous peine ou vous fatigue, laissez-le-moi ». L’enfant qui crie, le parent dépendant, le repas à préparer, le linge à plier, la présence à maintenir : autant de situations où la machine devient tentante, car elle est disponible, programmable, obéissante, sans conflit, sans imprévu.

Une pénétration technologique dans la substance de nos existences

On assiste ainsi à un phénomène inédit : la robotisation du lien social. Ce n’est plus simplement l’automatisation d’un geste ou d’un processus, c’est l’automatisation de la présence 24 heures sur 24. Pour les enfants, cela signifie grandir dans un monde où l’altérité humaine est concurrencée par l’interaction robotique. Pour les personnes âgées, cela signifie finir sa vie sous l’œil vide d’une IA sans histoire, sans passé, sans souvenirs, sans chaleur. Pour les salariés, cela signifie la précarité structurelle dans des économies largement tertiarisées, singulièrement en Europe, qui auront peu de postes à offrir aux travailleurs sans diplômes.

Et que vaudront les considérations éthiques face aux froides réalités économiques ? Une heure d’aide à la personne facturée par une société spécialisée coûte aujourd’hui entre 25 et 40 euros, avant crédit d’impôt. Un robot Optimus vendu 10 000 euros représentera l’équivalent de 250 à 400 heures de prestation humaine, soit quelques mois de service à domicile pour une personne dépendante – et quelques semaines seulement pour une version proposée à 5 000 dollars.

En outre, Optimus ne sera pas qu’un robot. Il sera également une plateforme mobile d’apprentissage en continu, destinée à s’introduire dans les espaces les plus intimes de la vie quotidienne. Il enregistrera nos gestes, nos habitudes, nos routines, nos incohérences, nos faiblesses, etc. Il apprendra de nous directement, sans filtre, sans pause. Ce n’est plus une innovation, c’est la pénétration technologique dans la substance de nos existences.

Une trajectoire industrielle globale

Ce n’est pas tout. Si ce basculement civilisationnel peut déjà nous sembler effrayant, il renferme également un basculement économique majeur car il repose aussi sur un projet industriel global. En effet, le 21 janvier 2025, au lendemain de sa prise de fonctions, Donald Trump a lancé le programme Stargate, destiné à renforcer l’avance technologique américaine en matière d’intelligence artificielle appliquée aux domaines stratégiques, dont l’exploitation robotisée de l’espace. C’est un plan de longue haleine visant à permettre aux États-Unis de devenir économiquement inatteignable par la Chine ou tout autre concurrent stratégique.

À terme, les États-Unis regardent vers les astéroïdes de type métallique, dont certains sont riches en platine, rhodium, osmium, et surtout iridium, un métal dont le prix de la tonne dépasse aujourd’hui 125 millions d’euros. On ne trouve pas de telles concentrations sur Mars ou la Lune, mais l’entraînement de robots généralistes comme Optimus s’inscrit dans la phase préparatoire à ces futures missions : développer une IA capable d’agir de manière autonome dans des environnements chaotiques, contraints, imprévisibles. Pour préparer les étapes suivantes.

Et quoi de mieux pour s’y préparer dans un premier temps que le désordre ordinaire de nos vies quotidiennes ? Salons encombrés, jouets au sol, déplacements imprévus, animaux domestiques, personnes âgées : tout devient scénario d’entraînement. Là où la Nasa conçoit des protocoles simulés, Musk choisit l’apprentissage par immersion dans le réel, brut, aléatoire, non modélisé.

Ce plan à grande échelle a d’ailleurs été confirmé par Tesla ce 26 mars puisque l’entreprise de Musk prévoit d’envoyer un exemplaire d’Optimus à bord de la fusée Starship pour une mission vers Mars d’ici à 2026, afin de tester ses capacités en conditions extrêmes, sans assistance humaine. Avec Optimus, Musk trace un corridor direct entre notre chambre à coucher et le sol accidenté de Mars. Ce n’est plus de la science-fiction. C’est une trajectoire industrielle bien réelle.