
14 mai 2025 • Analyse •
Face à la crise multiforme que traverse la France, les demi-solutions proposées par le président de la République ne suffiront pas. Une rupture s’impose pour redresser le pays et redonner espoir aux Français, en revenant aux fondamentaux sans céder aux sirènes étatistes des extrêmes.
La prestation ratée d’Emmanuel Macron dans l’émission « Les défis de la France » doit déciller définitivement ceux qui espéraient encore quelque chose des deux années à venir. En février dernier, le baromètre annuel du Cevipof sur la confiance politique interrogeait les Français sur ce qu’ils attendent de l’échéance de 2027. Réponse sans appel : ils sont 78 % à souhaiter une rupture, mais 58 % n’ont aucun nom à proposer pour incarner cette attente, pas même parmi ceux qui gardent une cote de popularité flatteuse. Loin d’un vulgaire « dégagisme », il s’agit de rompre avec quarante ans de déclin, en revenant aux fondamentaux sans céder aux sirènes étatistes des extrêmes.
Parlons méthode, en effet. Le titre de cette modeste contribution au débat public reprend la célèbre sentence du général de Gaulle lorsque Jacques Rueff – le plus éminent économiste libéral français du vingtième siècle – lui remit le rapport qu’il venait d’élaborer avec un discret aréopage de hauts fonctionnaires (fin 1958) : « sur tous les postes à la fois, nous sommes au bord du désastre… en somme, l’alternative c’est le miracle ou la faillite ». Prolongées par le plan Rueff-Armand, les bonnes conditions furent réunies : compétences contre connivences, discrétion contre mise en scène, rupture contre routine, faire plutôt que plaire, etc. Le spectre de la faillite s’éloigna. Sans ce moment Rueff, les Trente Glorieuses auraient pu s’arrêter à mi-parcours.
Croissance et démographie atones, désastres climatiques, tensions géopolitiques extrêmes, etc. : de ce chaos peut naître un ordre. Pour que celui-ci soit choisi, et non subi, mieux vaut être fort et souple, plutôt que lourd et mou, et donc profiter de comptes publics en ordre. Aggravée par la vénération des avantages acquis, synonymes de rigidités structurelles irréversibles, la situation de 2025 est bien pire que celle de 1958. Du ni-ni au en même temps, on aura tout vu depuis quarante ans. Ne pas déplaire ! L’économiste Pierre Massé écrivit jadis que « l’acceptation de l’ambiguïté est le commencement de l’imposture ». La fausse monnaie n’a plus cours. Nicolas Baverez résume cela parfaitement : « Après quarante-cinq ans d’un interminable déclin qu’Emmanuel Macron a transformé en chute libre, la France ne peut plus rééditer les erreurs commises depuis 1981 ».
Tous les entre-deux, les ambiguïtés que propose un président de la République à bout de souffle ne suffiront pas. Les ajustements à la marge ne suffiront pas. Le bricolage du système des retraites ou de la fiscalité ne suffira pas. Il faudra fuir ces dépenses publiques sur fonds d’emprunt dont Keynes prétendait que « même lorsqu’elles sont inutiles [en anglais wasteful, synonyme de « gaspillage »], elles peuvent enrichir en définitive la communauté ». A l’inverse, puisqu’« il n’est de richesse que d’hommes », il faudra travailler plus. Et surtout, il faudra cesser enfin de tricher avec les disciplines économiques qui figurent clairement dans le préambule de la Constitution : « règle d’or budgétaire » (art. 13) ; censure des distinctions sociales qui sont instituées sans motif d’intérêt général démontré ; inviolabilité du droit de propriété ; postulat de la sûreté primordiale, comme garantie des autres droits ; dogme de la responsabilité de « tout agent public » (au singulier) vis-à-vis de la société. Le modèle social français s’est gravement écarté de toutes ces choses excellentes, pourtant écrites dans le but de parvenir « au maintien de la Constitution » et « au bonheur de tous ». Rien que ça !
Par ses effets délétères dans tous les secteurs de l’action publique, l’incurie budgétaire – qui, certes, ne fit pas que des mécontents – a conduit vers la désindustrialisation, la souveraineté menacée et le peuple en colère. Pour prévenir un réveil de forme inédite de la part des « sans-dents » et de « ceux qui ne sont rien », pour éviter aussi l’exil forcé des cerveaux et des entreprenants, un devoir d’inventaire s’impose, celui-là même dont les Français furent frustrés depuis 1995, ce qu’ils payent au prix fort aujourd’hui. En mars 1968, Pierre Viansson-Ponté avertissait : « la France s’ennuie ». Aujourd’hui, la France s’énerve.
Ici, la leçon d’Einstein s’impose : la folie, c’est de faire toujours la même chose et d’attendre un résultat différent, et on ne résout pas un problème en gardant le mode de pensée qui l’a engendré. D’un coup, la présélection pour 2027 est sans pitié ! Après plus de quarante ans d’État tentaculaire, de boulimie budgétaire, de montée de l’individualisme catégoriel, la société française ne parvient plus à adhérer aux disciplines collectives. Georges Pompidou s’en inquiétait déjà : si on tarde trop à trancher ce « nœud gordien », il deviendra impossible de le faire dans le respect de toutes les libertés. Plus tard, les économistes libéraux ne cesseront, sous les sarcasmes, d’en répéter la funeste prévision. Dans la France de 2027, ce sera soit la ruine ou le chaos (ou les deux à la fois), soit la rupture. L’époque étant à l’urgence du réarmement moral, ne pas faire le choix de la rupture reviendrait à ajouter la faillite morale à la faillite matérielle.