
18 mai 2025 • Opinion •
Il ne sera pas possible de faire admettre la nécessité de la transition écologique aux Français s’ils n’y trouvent pas quelque avantage. Elle pourrait être l’occasion de simplifications administratives qui leur faciliteraient la vie. Proposition d’Yves d’Amécourt, est viticulteur, ancien élu local de Gironde et référent ruralité de Nouvelle Énergie, avec Alexandra Ardisson, ancienne députée (2017-2022), responsable Relations internationales de Nouvelle Énergie et Muriel Fabre, maire de Lampertheim et vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg.
La France a fait de la « transition écologique » un axe majeur de ses politiques publiques. Pourtant, elle en oublie parfois le bon sens. Tandis que le gouvernement veut imposer des zones à faibles émissions (ZFE) dans la plupart des agglomérations, au prix de contraintes inédites pour les artisans et les travailleurs de terrain, aucune réflexion sérieuse n’a été engagée sur l’adaptation des normes de transport aux réalités professionnelles.
Depuis plus de vingt ans, la qualité de l’air s’est pourtant considérablement améliorée dans nos villes, et cela sans recourir à des interdictions massives, mais en inventant des solutions nouvelles : motorisations plus propres, progrès technologiques, innovations industrielles. Continuons dans cette voie du pragmatisme et de l’accompagnement, plutôt que dans celle des interdits. La réforme du permis B en est un exemple concret.
Aujourd’hui, le permis B permet de conduire un véhicule dont le poids total autorisé en charge (PTAC) ne dépasse pas 3,5 tonnes, une norme fixée à l’échelle européenne par la directive 2006/126/CE. Cette limite date d’une époque où ni la massification des chantiers, ni le poids croissant des équipements automobiles, ni même l’électrification des flottes n’étaient d’actualité. À l’époque, le confort de ces véhicules était limité et la charge utile encore conséquente. Aujourd’hui, cette limite est devenue inadaptée pour les artisans du bâtiment, les électriciens, les plombiers ou encore les professionnels des espaces verts, qui doivent transporter chaque jour leur matériel, leurs matériaux et leurs équipes.
Prenons un exemple concret : une palette de parpaings standard pèse environ 1 200 kilos. La charge utile d’un utilitaire léger (type Renault Master ou Peugeot Boxer) tourne autour de 1 200 à 1 300 kilos. Deux personnes à bord, du carburant, quelques outils, et le seuil de 3,5 tonnes est rapidement franchi. La conséquence est connue : près de 17 000 verbalisations pour surcharge ont été enregistrées dès 2013, selon Le Moniteur. Ces artisans ne sont pas des fraudeurs : ce sont des travailleurs entravés par une norme obsolète.
La transition énergétique, pourtant indispensable, aggrave encore la situation. Les véhicules utilitaires électriques pèsent entre 200 et 500 kilos de plus que leurs équivalents thermiques, en raison des batteries, à en croire une étude de l’Agence de la transition écologique. Ce surpoids réduit d’autant la charge utile et rend quasi impossible l’usage d’un véhicule propre sans risquer l’infraction pour surcharge.
Conscients de cette difficulté, les institutions européennes ont réagi. En février 2024, le Parlement européen a voté une réforme de la directive sur les permis de conduire, prévoyant l’extension du permis B jusqu’à 4,25 tonnes pour les véhicules à faibles émissions (électriques et hydrogène). Mais pourquoi s’arrêter là, alors que les véhicules de 5 tonnes sont déjà une réalité sur le marché ?
Simplifions : portons le permis B à 5 tonnes !
Nous proposons que le permis B soit étendu à 5 tonnes pour les professionnels, à l’image de la dérogation B79 accordée aux conducteurs ayant obtenu leur permis avant 1975. Cette réforme permettrait :
- de réduire le nombre de trajets et donc les émissions de CO₂ ;
- de faciliter l’adoption des véhicules utilitaires électriques ou à motorisations alternatives moins polluantes ;
- d’éviter aux petites entreprises des amendes disproportionnées.
Cette réforme ne coûterait rien à l’État mais aurait un impact immédiat pour des dizaines de milliers d’artisans. Elle n’implique pas de modifications techniques : les véhicules de 5 tonnes partagent souvent le même châssis que ceux de 3,5 ou 4,5 tonnes. C’est avant tout une question de réglementation et de bon sens.
Une adaptation réglementaire déjà éprouvée : l’exemple du 44 tonnes
La réglementation française a déjà su évoluer pour accompagner les réalités économiques et techniques du transport routier. Ainsi, à compter du 1er janvier 2013, le décret n° 2012-1359 du 4 décembre 2012 a autorisé la circulation des ensembles routiers de plus de quatre essieux jusqu’à 44 tonnes, contre 40 tonnes précédemment. Cette mesure visait à améliorer la compétitivité du transport routier tout en réduisant le nombre de trajets nécessaires et donc les émissions de CO₂.
Cette évolution s’est accompagnée de conditions techniques strictes. À partir du 1er octobre 2025, cette autorisation sera d’ailleurs réservée aux véhicules conformes à la norme Euro 6.
Si cette souplesse a été accordée pour les poids lourds, pourquoi la refuser à nos artisans et petites entreprises, moteurs économiques de nos territoires ?
Les opposants à cette réforme invoquent souvent des questions de sécurité routière. Mais il faudrait alors admettre qu’il existe deux sécurités routières : l’une pour les véhicules électriques, autorisés à être plus lourds, l’autre pour les véhicules thermiques. Ce paradoxe montre bien l’incohérence de la réglementation actuelle.
Cette réforme, loin de fragiliser la sécurité routière, contribuerait à l’améliorer. Les véhicules de 5 tonnes partagent le même châssis que ceux de 3,5 tonnes, mais sont souvent mieux équipés : freins renforcés, dispositifs de sécurité avancés, parfois roues jumelées pour une meilleure stabilité. À charge équivalente, ils offrent ainsi une tenue de route plus sûre et des performances de freinage supérieures. En facilitant l’accès à ces véhicules, on réduirait aussi le recours aux remorques légères, souvent mal maîtrisées et surreprésentées dans les accidents liés à la perte de contrôle ou à l’arrimage défectueux. Moins de remorques, c’est moins de ruptures d’attelage et de manœuvres complexes en zone urbaine. Cette évolution permettrait de limiter la circulation des poids lourds de 19 tonnes pour des tâches de messagerie urbaine, inadaptés à cet usage et plus dangereux pour les usagers vulnérables. Enfin, cette extension du permis B pourrait s’accompagner de la création d’un permis BE modernisé, regroupant à la fois la capacité à conduire des véhicules jusqu’à 5 tonnes et celle de tracter des remorques. Une formation courte et ciblée, sur le modèle du permis B96, suffirait à sensibiliser les conducteurs sans leur imposer les contraintes lourdes et coûteuses du permis poids lourd. Elle éviterait aux professionnels de devoir passer un permis C1, contraignant et coûteux.
Enfin, cette mesure est attendue bien au-delà du secteur du bâtiment. Les camping-caristes eux aussi souffrent de cette limite de 3,5 tonnes. Selon un sondage de la Fédération des Campeurs, Caravaniers et Camping-Caristes (FFCC), plus de 80 % des conducteurs se disent favorables à une extension du permis B à 5 tonnes.
Pour une écologie de la confiance, pas de la contrainte
À l’heure des restrictions de circulation et des ZFE qui se multiplient, alors que nous cherchons des mesures à la fois écologiques et favorables à l’emploi, cette réforme modeste mais stratégique enverrait un signal fort : celui d’une écologie du concret, fondée sur la confiance, l’innovation et l’adaptation, et non sur la contrainte.
La France a toujours su progresser en accompagnant ceux qui font, plutôt qu’en les sanctionnant. C’est ainsi qu’en vingt ans, sans ZFE, la qualité de l’air dans nos villes s’est spectaculairement améliorée. Continuons dans cette voie, en donnant à nos artisans, à nos entrepreneurs et à nos professionnels les moyens d’agir et de participer pleinement à la transition écologique.
La transition écologique réussira si elle est portée par ceux qui y participent. Commençons par leur faire confiance. Et donnons-leur les moyens d’agir.
L’écologie qui fonctionne doit être gagnant-gagnant !