
Mai 2025 • Note 74 •
Les puissances occidentales en butte à l’hostilité d’un axe Moscou-Pékin
Alors que la « Russie-Eurasie » de Vladimir Poutine n’a pas renoncé à ses objectifs en Ukraine, et plus largement en Europe, son grand allié chinois, sous la direction de Xi Jinping, vise la constitution d’une « sphère de coprospérité » en Asie de l’Est et dans le Pacifique occidental. Traversées par des tensions de plus en plus fortes et fragilisées par les incertitudes du leadership américain, les puissances occidentales devraient rehausser leur effort collectif et renforcer leur unité stratégique et géopolitique A la veille du Dialogue de Shangri-La, qui aura lieu le 30 mai prochain à Singapour et auquel participera le président français Emmanuel Macron, Jean-Sylvestre Mongrenier rappelle que pour préserver l’essentiel, il importe de transcender la conjoncture et de penser globalement.
Situation et dynamiques de la guerre d’Ukraine
Il faut constater que, malgré les défis militaires et économiques, l’Ukraine résiste depuis plus de trois ans à l’agression russe grâce au soutien occidental. La Russie, dont l’« opération militaire spéciale » visait une victoire rapide, n’a pas atteint ses objectifs stratégiques. L’Ukraine, quant à elle, s’est adaptée en développant une industrie d’armement et en mobilisant ses ressources – tout en restant dépendante des systèmes anti-aériens occidentaux. La Russie peut compter sur le soutien de la Chine. Malgré certaines pudeurs, parler d’une « alliance » entre Moscou et Pékin, dirigée contre un ennemi désigné comme tel, en vue d’un monde post-occidental régi par Pékin et Moscou, n’est pas exagéré. Cette alliance a ses prolongements au Moyen-Orient (Iran) comme en Asie du Nord-Est (Corée du Nord).
Montée des tensions dans le détroit de Taïwan
La Chine de Xi Jinping, aux ambitions globales clairement affichées dans le cadre du « Rêve chinois », cherche à supplanter les États-Unis comme hyperpuissance mondiale. Ses premières cibles sont la prise de contrôle Taïwan, assimilée à une « province rebelle », ainsi que la subordination des Philippines, alliées des États-Unis, et la transformation de la Méditerranée asiatique en un « lac » chinois. Les scénarios envisagés pour une attaque contre Taïwan incluent une invasion amphibie ou un blocus économique, avec les conséquences qu’on imagine pour les flux commerciaux mondiaux et la stabilité tant régionale que mondiale.
Au péril d’un « schisme d’Occident »
Face aux appétits russe et chinois, les incertitudes du leadership américain, accrues par l’Administration Trump qui oscille entre isolationnisme et unilatéralisme, créent un vide. Cette posture fragilise l’OTAN, laissant redouter un possible découplage géostratégique entre les États-Unis et l’Europe. Dans une perspective paneuropéenne, qui dépasse la seule UE, les Etats du Vieux continent doivent renforcer leurs capacités militaires et œuvrer à européaniser l’OTAN, en vue d’assumer un rôle plus actif dans la défense continentale et mondiale. Rejetons toute tentation de la ligne Maginot. La région Indo-Pacifique notamment est stratégique pour l’Europe face aux ambitions thalassocratiques de la Chine. La France, avec sa stratégie Indo-Pacifique et ses possessions dans la région, peut jouer un rôle essentiel dans la défense de la liberté de navigation et la sécurité des détroits.
Unité et cohésion de l’Occident
En conclusion, il convient d’appeler à l’unité de l’Occident pour contrer les menaces globales qui courent d’une extrémité à l’autre de la masse euro-asiatique. Flancher sur le théâtre ukrainien aurait des implications dans le détroit de Taïwan et inversement. Si les États-Unis poursuivaient dans la voie sur laquelle ils sont engagés, l’Europe aurait à assumer seule le « fardeau » de sa défense, sans renoncer à projeter pouvoir et influence sur les mers et océans du monde. Il lui appartiendrait de faire rayonner sa civilisation jusqu’en Extrême-Orient.
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L’auteur
![]() Jean-Sylvestre Mongrenier est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Titulaire d’une licence d’histoire-géographie, d’une maîtrise de sciences politiques, d’un DEA en géographie-géopolitique et docteur en géopolitique, il est professeur agrégé d’Histoire-Géographie et chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis). Il est ancien auditeur de l’IHEDN où il a reçu le Prix Scientifique 2007 pour sa thèse sur Les enjeux géopolitiques du projet français de défense européenne. Officier de réserve de la Marine nationale, il est rattaché au Centre d’Enseignement Supérieur de la Marine (CESM), à l’École Militaire. Il est notamment l’auteur de Le Monde vu de Moscou. Géopolitique de la Russie et de l’Eurasie postsoviétique (PUF, 2020), Géopolitique de la Russie (avec Françoise Thom, PUF, 4e édition, 2024), Géopolitique de l’Europe (PUF, 2e édition, 2023), et de Le Monde vu d’Istanbul. Géopolitique de la Turquie et du monde altaïque (PUF, 2023) • |
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