Violences de rue · Au-delà de la sanction légitime, quelle politique jeunesse ?

Marlène Giol, chercheuse associée à l’Institut Thomas More

10 juin 2025 • Analyse •


Après les nombreuses violences consécutives à la victoire du Paris Saint-Germain en Ligue des champions, les ministres de l’Intérieur et de la Justice appellent à plus de fermeté. Cela est légitime mais sera sans effet en l’absence de réponse sociale et culturelle de fond. Alors que les pouvoirs publics s’accrochent à un SNU (service national universel) aussi inefficace que coûteux, il n’y a pas de politique de la jeunesse à la hauteur en France. Analyse de Marlène Giol, auteur du rapport « Le Parcours France en commun : un nouveau souffle pour l’engagement de la jeunesse », disponible ici.


Attendue comme un moment de liesse populaire, la victoire du Paris Saint-Germain en Ligue des champions le 31 mai dernier a été lourdement entachée par les nombreuses violences qui ont éclaté partout en France (dégradations, pillages, agressions, etc.). Des violences qui ont conduit à des dizaines de blessés et deux décès… Plus de 560 personnes ont été interpellées. Parmi elles, une grande majorité de jeunes. S’ils ont un caractère hors norme, ces débordements ne sont pas inédits pour autant et illustrent un phénomène hautement inquiétant.

En effet, notre pays est en proie à une réalité sans précédent qui voit une partie de la jeunesse basculer dans une contre-société d’hyperviolence et d’ensauvagement. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, qualifie ainsi de « barbares » les auteurs de ces faits. Une situation d’urgence absolue qui pousse le gouvernement à agir. Le garde des Sceaux Gérald Darmanin a affiché sa volonté d’adapter la loi et de durcir l’échelle des peines. Certes, il ne fait aucun doute qu’établir des mesures coercitives et de sanction est indispensable. Mais doit-on s’en contenter ?

L’illusion répressive

Gageons qu’elles risquent de se révéler largement inefficaces si elles sont trop clémentes (comme c’est le cas de certaines) mais aussi si elles ne vont pas de pair avec une politique « Jeunesse » globale, solide et cohérente, un « traitement de fond » social et culturel pour l’ensemble de notre société. Or, dans ce domaine, l’exécutif semble faire le choix de concentrer son action sur le service national universel (SNU), dont l’expérience a montré qu’il était un dispositif superficiel, inadapté et non viable. Ce faisant, le chemin pris par le gouvernement est une voie sans issue. Une errance incompréhensible et inacceptable qui pourrait conduire à de lourdes conséquences politiques, économiques et sociales.

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, le SNU fait l’objet, depuis sa présentation en 2019, d’éternels tergiversations et changements de cap. Dernier en date : l’annonce par le chef de l’État d’une « grande refonte » du dispositif, dans un entretien accordé à la presse régionale en mars dernier. Deux mois plus tard, dans une note publiée le 5 mai 2025, le Haut-commissaire au Plan Clément Beaune a exposé différentes options pour faire évoluer le SNU. Le document présente quatre scénarios possibles : un SNU « vitaminé », un service civil universel, un service militaire volontaire ou un retour au service militaire obligatoire. À cela s’ajoutent « deux scénarios hybrides, articulant un socle commun à tous et un choix laissé à chacun ». Des hypothèses aux coûts particulièrement élevés, de 600 millions à 1,5 milliard d’euros par an. Pour définir les modalités du nouveau projet, Clément Beaune se dit favorable à un « vaste débat politique », au Parlement ou par le biais d’une convention citoyenne, voire d’un référendum. Une annonce qui, bien loin de rassurer, illustre surtout un fait hautement préoccupant : l’exécutif ne sait toujours pas où il va.

En effet, le Haut-commissaire au Plan présente une multitude de propositions aux contours flous qui complexifient le débat jusqu’à le rendre inintelligible et soulèvent davantage de questions qu’elles n’apportent de réponses. Par ailleurs, la volonté de soumettre au référendum un dispositif qui a plus de six ans est un aveu d’échec et d’incapacité à donner un cap clair à la politique « Jeunesse » de notre pays. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, d’un profond manque de vision et d’anticipation de la part de pouvoirs publics incapables de mettre en œuvre leurs propres réformes.

Le SNU, mirage coûteux

Au-delà, cette démarche semble être une énième tentative de l’exécutif de sauver un projet qui n’a jamais réussi à convaincre, et pour cause… Depuis sa création, le SNU souffre de faiblesses structurelles profondes et irrémédiables. Six ans plus tard, au gré des modifications et rétropédalages incessants, l’exécutif se trouve embourbé dans les méandres d’un projet qui n’a plus ni fond ni forme. Une coquille vide à laquelle le gouvernement s’accroche obstinément pour sauver la face.

Une obstination qui a un coût : 128,3 millions d’euros en 2025, soit un septième du budget « Jeunesse et vie associative ». Une somme considérable pour un dispositif qui ne répond aucunement aux objectifs fixés et ne convainc personne, à commencer par les principaux concernés : la participation des jeunes reste très en deçà des attentes du gouvernement (en 2023, seuls 40 135 volontaires ont participé à un séjour de cohésion) et les ambitions en matière de mixité sociale sont loin d’être atteintes (surreprésentation des enfants de familles CSP+ et des enfants de « corps en uniforme », ainsi que des jeunes issus des filières générales et technologiques).

Plus que jamais, la jeunesse française incarne un véritable enjeu de société et un défi majeur pour l’avenir de notre nation. Face à cela, le SNU apparaît encore et toujours comme un cautère sur une jambe de bois… Le temps passé à essayer de le sauver à tout prix est du temps perdu. Tous ces efforts devraient être dirigés vers un seul et même but : trouver les outils pour garantir une société apaisée. Cela ne pourra se faire sans une réflexion approfondie autour des valeurs de la transmission et du rôle qu’il faut (re)donner aux parents.

Un cap à redéfinir d’urgence

L’heure n’est pourtant plus aux hésitations. Il est temps de bâtir rapidement un plan d’action réaliste et efficace pour redonner un véritable souffle à notre société. Des solutions existent. Pour les faire émerger, il est nécessaire de donner aux acteurs de terrain les moyens d’agir sur leur propre réalité. C’est pourquoi nous avons conçu le Parcours France en commun, un outil d’ouverture aux valeurs et aux richesses de la nation, structurant l’apprentissage de la citoyenneté et de l’appartenance. Il s’appuie sur trois principaux objectifs : garantir un socle commun à l’ensemble de la classe d’âge tout en favorisant la responsabilité et l’autonomie ; agir en profondeur grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui environnent le jeune (famille, école, commune, associations, etc.) ; et faire le choix du temps long, sur plusieurs années, afin de laisser une empreinte réelle dans le parcours de chaque jeune Français. C’est à ces seules conditions que nous parviendrons à voir se développer et s’enraciner un véritable esprit d’engagement, pilier indispensable de l’unité de la nation.