Sommet du G7 · Washington, l’Europe et leurs alliés vivent sous la menace d’un schisme d’Occident

Jean-Sylvestre Mongrenier, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

16 juin 2025 • Analyse •


Le sommet du G7 a débuté dimanche 15 juin à Kananaskis, au Canada, sur fond de tensions au Moyen-Orient. Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, le défi principal de cette réunion réside dans le dissensus interne, qui menace de faire imploser l’unité de l’Occident.


De l’Europe au Japon, nombreux sont ceux qui redoutent les effets du trumpisme sur la présente réunion du G7 (Kananaskis, du 15 au 17 juin). Ce directoire informel de l’« Occident global » surmontera-t-il les effets délétères du protectionnisme américain et la volonté forcenée de Donald Trump de mener un « reset » américano-russe, au péril de l’Ukraine et de l’Europe ? L’incapacité à maintenir un semblant d’unité géopolitique perturbera-t-elle sommet à venir de l’Otan (La Haye, du 24 au 26 juin) ?

Le conflit armé israélo-iranien obscurcit encore l’horizon. En sus de la guerre d’Ukraine, aux frontières orientales de l’Otan, une déflagration générale menace le Moyen-Orient, avec des conséquences planétaires. En Extrême-Orient, la Chine populaire renforce sa pression sur Taïwan et la Méditerranée asiatique. Ses porte-avions se hasardent dans le Pacifique occidental et testent la résolution des États-Unis, dont la posture internationale est affaiblie par les rodomontades et les reculades du président américain. Ce n’est pas une guerre mondiale, mais le monde est en effervescence.

Marginaliser l’Occident

En vérité, les menaces et les conflits sont des constantes mais certaines époques sont plus dangereuses. Au milieu des années 1970, le président français Valéry Giscard d’Estaing émit la proposition d’un club qui réunirait les grands pays développés à économie de marché, afin de surmonter les temps mauvais. Modèle de « minilatéralisme » destiné à compenser les défauts du multilatéralisme, le G7 assura l’unité de l’Occident, facilitant le processus décisionnel à l’intérieur des instances euro-atlantiques (CEE/Otan) et dans les institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international et Banque mondiale). Ainsi les défis économiques et les périls de la menace soviétique furent-ils relevés, jusqu’à l’implosion de l’URSS et de son bloc (1989-1991).

Après la « victoire froide » de l’Occident, le G7 semblait devoir se transformer en un directoire mondial animé par le leadership hégémonique des États-Unis, dont les dirigeants avaient repris le projet wilsono-rooseveltien d’un monde « Safe for Democracy ». C’est pourquoi la Russie post-soviétique fut associée au G7. L’idée directrice de ce G8 était de promouvoir la démocratie de marché jusqu’à donner forme à une vaste Communauté euro-atlantique, de Vancouver à Vladivostok. Las, Vladimir Poutine et les siloviki préférèrent constituer une « Russie-Eurasie », pivot d’une coalition antioccidentale. Dès 2014, l’invasion de l’Ukraine impliqua le retour au format initial.

Au G7 s’oppose une alliance sino-russe qui structure l’Organisation de coopération de Shanghaï et, à l’échelon mondial, promeut le forum des Brics+. L’objectif est de s’imposer dans le champ de manœuvre de la « Majorité mondiale » (le « Sud global ») et d’accoucher d’un système international qui marginaliserait l’Occident global. De fait, les équilibres de puissance et de richesse se déplacent vers l’Orient : le poids économique et commercial des Brics+ équivaut désormais à celui du G7.

Dissensus interne

Pourtant, le G7 et l’Occident global disposent toujours d’un important potentiel de puissance, particulièrement si l’on se concentre sur la finance et le marché mondial des capitaux, la haute technologie, les échanges de données numériques ou encore le facteur militaire. Le défi principal réside moins dans les menaces extérieures, car elles sont dans l’ordre des choses, que dans le dissensus interne, plus précisément dans l’incapacité virtuelle des États-Unis à perpétuer leur hégémonie et à garantir l’unité géopolitique occidentale, a fortiori celle du monde libre.

Bref, les États-Unis, l’Europe et leurs alliés vivent sous la menace d’un schisme d’Occident. Le propos peut paraître théorique mais les conséquences, de l’Ukraine au détroit de Taïwan, seraient gravissimes. La Chine néomaoïste de Xi Jinping passerait à l’acte dans la Méditerranée asiatique (les mers de Chine du Sud et de l’Est) et la Russie-Eurasie poutinienne prétendrait pousser l’avantage en Europe, jusqu’à la réduire à un « petit cap de l’Asie ». Quant aux États-Unis, un processus d’autodestruction géopolitique mettrait fin à leur primauté.

Cette perspective invite à la gravité mais elle n’a rien de fatal. Voici peu, l’Iran islamique et l’axe chiite semblaient appelés à dominer le Moyen-Orient au moyen d’une stratégie de « sanctuarisation agressive », le panislamisme tiers-mondisant de Téhéran balayant le monde islamique, du Maroc jusqu’à l’Indonésie. Or, le régime iranien, chaînon central de l’axe révisionniste emmené par Pékin et Moscou, vacille sur ses bases. Après la Syrie, l’Iran ? En toute hypothèse, un tel effondrement entraînerait des répercussions de Moscou à Pékin ; l’avenir pourrait ne pas leur appartenir.

Mais rien n’est acquis et des ferments de dispersion menacent l’Occident global. À moins qu’à Washington de nouveaux « adultes » ou le jeu des contre-pouvoirs limitent les errances de la présidence, la destruction méthodique de l’hégémonie américaine aurait des conséquences néfastes. Le déroulement du G7 et celui du sommet de l’Otan nous donneront des indications. En cas d’échec ou d’impasse géopolitique, il faudra que les Occidentaux de l’Ancien Monde prennent le relais et manifestent à nouveau l’audace de la puissance.