
2 juillet 2025 • Entretien •
En prenant les rênes de l’Union européenne, le Danemark met en avant un mode de vie souvent cité en exemple : prospérité, faibles inégalités, haut niveau d’éducation et d’espérance de vie. Mais cette réussite repose sur une homogénéité culturelle forte, une pression sociale marquée et une cohésion interne rigoureusement entretenue. Loin de l’idéal scandinave fantasmé, le modèle danois conjugue harmonie sociale et exigence collective.
L’économie danoise compte parmi les plus prospères d’Europe, sinon du monde. Dans quelle mesure faut-il penser qu’elle diffère de l’économie française ?
Le Danemark est classé en dixième position du Global Innovation Index 2024 de l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle. C’est un pays innovant. Le modèle économique danois repose sur plusieurs atouts. Il bénéficie notamment d’une indépendance énergétique et d’une bonne balance commerciale, grâce à des exportations importantes dans le secteur pharmaceutique ou dans certains produits alimentaires. Il faut également souligner son intensité capitalistique et sa très bonne compétitivité : le Danemark est en effet l’un des pays où la productivité par travailleur est la plus haute du monde (5ème selon l’OIT en 2023). Il ne faut pas oublier que le pays est bien pourvu en capital technique, y compris sur le plan écologique. C’est également un pays très peu endetté (30 % du PIB) et fréquemment excédentaire.
Le Danemark est aussi très connu pour son système social et notamment pour son modèle de flexisécurité. Quel est-il ? La France serait-elle avisée de s’en inspirer, selon vous ?
Le modèle social danois est vraiment très intéressant. C’est ce qu’on appelle un modèle « social-démocrate », l’une des trois formes d’État-providence décrites par le sociologue Esping-Andersen. C’est un système extrêmement généreux : le Danemark est, comme la France, un pays où les prélèvements obligatoires sont très élevés, autour de 47 à 48 %.Ils se disputent même parfois la première place avec nous ! C’est donc un modèle très étatisé et généreux, notamment pour les allocations chômage qui montent jusqu’à 90 % du salaire après avoir travaillé au moins un an au Danemark et cotisé dans une caisse particulière.
Mais la grande différence avec la France, c’est que ce modèle est financé essentiellement par l’impôt. Les cotisations sociales y sont très faibles, entre 1 et 2 % environ, et même là c’est souvent sur la base du volontariat, notamment pour le chômage. En clair, la protection sociale repose sur l’impôt sur le revenu. Ce dernier atteint des taux marginaux extrêmement élevés, jusqu’à 55 %.
C’est donc un modèle social financé largement par la contribution de tous, et pas seulement par les travailleurs. Naturellement, il faut aussi évoquer la question de la répartition de l’impôt (et notamment sur le revenu), puisque seule une très faible part de la population ne le paie pas. Ce n’est pas comme en France où l’on est exonéré jusqu’à 11 000 euros environ. Là-bas, tout le monde contribue, même modestement. Ce qui fait une grande différence dans la logique du modèle : c’est un système très généreux, très étatisé, mais largement financé par l’impôt sur le revenu.
Rappelons également que le taux d’imposition sur les sociétés est de 22 %, soit un peu en dessous de celui appliqué en France. D’une façon générale, il y a aussi moins de taxes et d’impositions « parallèles » au Danemark : c’est un système fiscal beaucoup plus simple, qui repose essentiellement sur la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Il y a aussi des taxes écologiques mais, dans l’ensemble, le système fiscal est très lisible et concentré sur ces grands leviers.
Le rapport à la retraite, aussi, est différent. Au Danemark, on parle d’un système mixte, qui implique une retraite de base et un pilier financé par la capitalisation. C’est un autre point de distinction important par rapport au modèle français.
Enfin, la question de la flexisécurité est centrale. Elle concerne, évidemment, le marché du travail. Fondamentalement, il s’agit d’un concept visant à combiner le meilleur du système libéral et du système plus étatiste. D’un côté, une grande flexibilité pour les entreprises en matière d’embauche et de licenciement. Les entreprises peuvent plus facilement adapter leur besoin de main-d’œuvre en fonction de la production, ajuster les horaires de travail, etc. En même temps, il y a une forte sécurité pour les salariés. Les allocations chômage sont généreuses, et dès que vous êtes licencié, vous êtes bien pris en charge par l’État.
Le niveau et la qualité de la vie au Danemark constituent-ils un point digne d’intérêt pour la France ? Diriez-vous qu’il faut s’en inspirer ?
Le Danemark est un pays très fortement redistributeur, ce qui va avec son modèle fiscal. Résultat : très peu d’inégalités. On utilise souvent l’indice de Gini pour mesurer les inégalités : plus il est proche de zéro, plus la répartition des richesses est égalitaire. Le Danemark est autour de 0,27, ce qui le classe parmi les pays les plus égalitaires au monde. À titre de comparaison, la France est autour de 0,30.
Du reste, on peut également rappeler que le PIB par habitant est très largement supérieur au Danemark (69 273 dollars au Danemark en nominal contre environ 39 441 en France) et que le pays se situe entre la 4ème et 6ème place selon les années en matière d’IDH, l’indice de développement humain, ce qui en dit long sur le niveau de vie, comme sur celui d’éducation, mais aussi sur l’espérance de vie dans l’absolu.