
10 juillet 2025 • Entretien •
L’impuissance des pouvoirs publics concernant les obligations de quitter le territoire français n’est pas irréversible, estime Jean-Thomas Lesueur, qui publie aujourd’hui la note Insécurité et immigration : propositions pour améliorer l’expulsion des personnes sous OQTF les plus dangereuses pour la sécurité des Français.
Vous insistez en premier lieu dans votre étude sur le manque structurel de données en matière d’immigration et d’insécurité. Doit-on, et surtout peut-on, en l’absence de statistique abondante, sortir de ce débat houleux et sensible ?
Alors que sondage après sondage, les Français martèlent que l’insécurité et l’immigration sont parmi leurs principales préoccupations, la question de l’existence d’un lien entre les deux est l’un des sujets les plus sensible du débat public en France. Certains y voient un fantasme, selon la rhétorique habituelle du « ressenti » contre la réalité. Cela me paraît un peu court.
Il est vrai que le manque d’études sérieuses et d’ampleur et de données statistiques fiables rendent difficile une évaluation objective. L’absence de statistiques ethniques limite la compréhension des dynamiques migratoires, tandis que les données sur la délinquance, davantage disponibles, restent insuffisantes.
Le vide créé par ces manques et ces insuffisances permet à certains chercheurs de nier, de manière souvent péremptoire, tout lien entre insécurité et immigration. Mais on identifie facilement les biais idéologiques de leurs travaux. J’en note trois récurrents : l’explication de la surreprésentation des étrangers dans les statistiques de la délinquance par la précarité économique (insultante pour les personnes en situation difficile dans leur ensemble), un traitement judiciaire prétendument plus dur envers eux (démonstration faiblement étayée) et la responsabilité de certains médias qui en feraient trop sur ces sujets (quand le sage désigne la lune…).
En réalité, malgré ces lacunes bien réelles, des données éparses mais solides, car tirées des statistiques des services de l’État, montrent une surreprésentation des étrangers difficilement contestables dans certaines formes de délinquance. Un premier chiffre est connu : 24,5 % des détenus des prisons françaises sont étrangers, soit une représentation 3 fois supérieure à leur poids démographique. En voici quelques autres : en 2021, 18 % des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie étaient étrangères (représentation 2,3 fois supérieure). Les statistiques révèlent également une forte implication des étrangers dans les cambriolages (38 %) et les vols violents sans arme (31 %) sur l’ensemble du territoire. Ces chiffres, bien qu’incomplets, constituent un faisceau d’indices probants.
« En matière d’OQTF, l’impuissance paraît érigée en système » : pourquoi cette formule si rude ? Quelles sont les raisons de cette inefficacité ?
Cette question est connue : entre 2019 et 2024, 766 448 obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont été prononcées mais leur taux d’exécution ne dépasse pas 7 %. Difficulté d’obtenir des laissez-passer consulaires, engorgement des préfectures et des juridictions, manque de moyens humains et matériels, nombreuses possibilités de recours suspensifs, manque de places en centres de rétention administrative (CRA), durée maximale de rétention limitée à 90 jours : de nombreux obstacles expliquent cette inefficacité. Le droit de l’immigration est l’un de ceux dans lequel le pouvoir politique est le plus entravé à la fois par le juge et ses propres lourdeurs bureaucratiques.
Selon vous, il faut que les pouvoirs publics concentrent leurs efforts sur les personnes les plus dangereuses. Qui sont-elles ? L’Etat peut-il vraiment y parvenir ?
Devant le spectacle de l’impuissance de l’État, nous nous sommes demandé comment agir, même un peu. Je ne prétends pas résoudre le problème de l’exécution des OQTF dans leur ensemble mais apporter une solution partielle mais non négligeable.
Le ministère de l’Intérieur distingue sept motifs d’OQTF. La proposition que je formule vise à différencier ces motifs pour simplifier le contentieux de l’éloignement, comme l’ont suggéré le Conseil d’État en 2020 et la Cour des comptes en 2024, afin de concentrer l’effort des services de l’État sur l’exécution des OQTF prononcées pour deux de ces sept catégories : menace à l’ordre public et à la suite d’une condamnation pénale.
Je recommande ainsi de durcir les dispositions pour ces catégories, notamment en précisant les critères de menace à l’ordre public, en appliquant une OQTF sèche ou avec un délai de départ volontaire réduit pour les individus menaçants pour l’ordre public et en plaçant systématiquement les individus concernés en rétention administrative. Cela nécessiterait une augmentation des capacités des CRA, un allongement de la durée maximale de rétention à 18 mois (allant bien plus loin que la proposition de loi adoptée hier en première lecture à l’Assemblée nationale) et une suppression de l’assignation à résidence comme alternative à la rétention. Enfin, j’invite à assortir ces OQTF d’une interdiction de territoire français (ITF) de 5 à 10 ans. Il faut un arsenal puissant et dissuasif.
Est-ce que cela aura un impact positif sur la sécurité des Français ?
La remarque qu’on ne manquera pas de me faire est que les deux catégories d’OQTF sur lesquelles je propose d’agir ne représentent que 7 % des OQTF totales. C’est vrai. Mais il s’agit d’individus dangereux pour la sécurité des Français. Il ne me paraît donc pas vain de chercher à renforcer effectivement la sécurité des citoyens et à envoyer un message de fermeté aux immigrés illégaux et aux réseaux de passeurs.
Le manque d’études et de statistiques sur le lien entre insécurité et immigration est bien réel, nous l’avons dit. Il y a urgence à lancer de tels travaux, en évitant tout biais idéologique. Mais dans ce brouillard, il est une réalité encore moins documentée : celle des crimes et délits impliquant des personnes étrangères faisant l’objet d’une OQTF. Il n’existe pas de statistiques mais il existe des faits bien réels qui défraient de plus en plus souvent la chronique, émeuvent et révoltent les Français : pensons à la petite Lola, à la jeune Philippine Le Noir de Carlan et à bien d’autres.
Peut-on les réduire à de tragiques mais de simples faits divers ? Cela me paraît contestable compte tenu de leur récurrence dans la durée et dans l’espace et de l’émotion collective qu’ils suscitent. Il n’est pas interdit d’y voir désormais un fait de société. Un fait de société qui s’ancre dans la majuscule impuissance des pouvoirs publics à améliorer sensiblement l’exécution des OQTF. Ma proposition est une tentative d’y apporter une réponse.