
15 juillet 2025 • Opinion •
Alors que la Chine multiplie les manœuvres militaires autour de Taïwan et qu’un sommet UE-Chine se profile le 24 juillet prochain, la France et les autres pays européens doivent intégrer des dimensions sécuritaires à leurs accords avec la Chine.
La paix et la stabilité en Asie et en Europe n’ont jamais été si interconnectées. Le 11 juillet dernier, les ministres des Affaires étrangères asiatiques se sont réunis à Kuala Lumpur en Malaisie à l’occasion du quinzième Forum de l’Asie de l’Est. Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, a voulu offrir imposer l’image d’une Chine garante de la stabilité régionale mais n’a pas convaincu tout son auditoire – en particulier le ministre japonais qui prévient : les manœuvres militaires de la Chine autour de Taïwan sont incompatibles avec ce double objectif affiché de stabilité et de paix. Deux jours auparavant, Taipei avait entamé ses exercices annuels visant à anticiper une opération d’envergure contre son territoire. Plus de 20 000 soldats étaient engagés – un niveau inédit d’engagement.
L’imminence de la tenue du Forum et le climat de tensions croissant dans la zone ont probablement joué un rôle dans le report de deux discours du président taïwanais à la nation, prévus durant la première quinzaine de juillet, dont l’un concernait les relations avec la Chine. Il aurait pu servir de prétexte à Pékin pour déclencher de nouvelles manœuvres d’intimidation et de simulation d’invasion ou de blocus de l’île. Le questionnement du ministre japonais sur le rôle prétendument stabilisateur de la Chine en Asie fait écho à celui entourant la politique poursuivie par Pékin sur le continent européen.
En effet, quelques jours auparavant, ce même Wang Yi aurait confié à Kaja Kallas, la Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et de Sécurité, que la Chine ne pouvait accepter la défaite de la Russie car cela permettrait aux États-Unis de se focaliser sur elle. Wang Yi dit en réalité ce que tout le monde sait déjà : la Chine soutient l’effort de guerre russe. Mais pour une tout autre raison. Une défaite de la Russie renforcerait les démocraties en Europe et le droit international et affaiblirait la crédibilité de sa dissuasion en zone Asie, y compris ses menaces de recours à la force vis-à-vis de Taïwan.
Ce double discours fait tomber le masque sur les intentions réelles de la Chine pour l’Europe. En voulant l’affaiblir, la Chine lui livre désormais une guerre par procuration, assortie d’un chantage économique qui restreint l’accès de certains minerais critiques à ses industries et à ses entreprises.
Face à cette situation inédite et alors que doit se tenir un sommet UE-Chine à Pékin, le 24 juillet prochain, deux options s’offrent à l’exécutif européen et aux capitales européennes : céder à la politique du fait accompli de Pékin ou lui signifier que l’Europe peut aussi dire « non ». Non au soutien à l’économie et à la machine de guerre russe visant l’Ukraine et bientôt la sécurité de tout le continent européen. Non, à une politique économique qui consiste à l’exportation volontaire et planifiée des déséquilibres et des excédents capacitaires internes.
Si l’Union européenne se trouve devant ce choix difficile, c’est aussi que sa stratégie vis-à-vis de la Chine se trouve dans l’impasse, et ce malgré le chemin accompli pour mieux protéger le marché intérieur européen des investissements chinois à risque. Sur le plan des échanges, la stratégie affichée de « dé-risking » avec la Chine ne peut consister à attirer plus d’investissements en Europe dans l’espoir lointain et incertain de rester dans la course technologique mondiale. Ce serait en réalité prendre la voie du « sur-risking » et du creusement de nos dépendances. Plus fondamentalement l’Union et ses États membres doivent rétablir avec Pékin un équilibre stratégique fondé sur des règles d’engagement respectées et durables.
Pour ce faire, nous pouvons et devons d’abord conditionner la poursuite des coopérations et des échanges économiques avec la Chine à la cessation de son soutien à l’effort de guerre russe. Il faut rapidement amener Pékin à reconnaître publiquement l’agression russe et à cesser tout soutien permettant à l’armée russe de reconstituer ses forces. De plus, si elle veut investir en Europe et continuer de bénéficier de nos investissements, la Chine doit respecter les règles et les conventions qu’elle signe et non sans cesse créer de nouveaux dispositifs pour les contourner. Cela doit devenir la nouvelle normalité des relations euro-chinoises.
Concrètement, les pouvoirs de la Commission ayant atteint leur plafond de verre, c’est aux États membres de reprendre l’initiative sous la forme d’un un audit national sur la Chine dans les domaines diplomatique, sécuritaire industriel et technologique. La France pourrait, dans cet exercice s’inspirer du travail réalisé par le gouvernement britannique depuis la fin de l’année dernière. Les principales conclusions de cet audit devront être rendues publiques et partagées avec un premier cercle de nos partenaires européens.
Cette revue générale de notre relation et de nos vulnérabilités permettrait de tester, dans un second temps, la mise en place à l’échelle européenne d’un régime d’inspections et de contrôle des coopérations et des investissements chinois dans tous les domaines stratégiques à la hauteur du défi que représente le projet global porté par Pékin. Ce régime prendrait modèle sur les termes des traités et accords de contrôle des armements et de non-prolifération, en y intégrant les composantes civile et militaire. Dans ce processus de rééquilibrage stratégique l’unité européenne est l’objectif final recherché pas un moyen, sans lequel rien ne nous semblerait alors possible d’achever.
A l’aube de chacun de leur rendez-vous important, il est coutume de dire que l’Europe et la Chine sont à la croisée des chemins. Quoiqu’il en soit, face aux politiques chinoises du fait accompli dans un contexte où la paix sur le continent se trouve menacée, l’Union et ses États membres n’ont d’autre choix que de réhausser leur niveau de jeu pour défendre ensemble leur sécurité et l’avenir de l’Europe.