
26 juillet 2025 • Analyse •
Le général Mandon, qui succède au général Burkhard, doit poursuivre la préparation des armées à la guerre de haute intensité, indispensable pour crédibiliser la dissuasion nucléaire française et préserver la paix en Europe. Revue de détails par Cyprien Ronze-Spilliaert, chercheur associé à l’Institut Thomas More mais aussi au Centre de recherche de la Gendarmerie nationale et et enseignant à l’université Paris-Dauphine.
Quatre ans après sa prise de fonction, le général Burkhard, chef d’état-major des armées (CEMA), fera, le 1er septembre, son adieu aux armes. Il sera remplacé par l’actuel chef d’état-major particulier du président de la République, le général d’armée aérienne Fabien Mandon. Le général Burkhard aura entamé la mutation du modèle d’armée, indispensable face au retour des menaces étatiques et des puissances révisionnistes. Les armées seront ainsi passées d’un modèle « expéditionnaire » – avec des militaires ultra-professionnalisés depuis la fin du service militaire, voués principalement aux OPEX et à la lutte antiterroriste – à un modèle « de haute intensité », marqué par un durcissement de l’entraînement et des exercices plus larges.
Ce départ s’inscrit dans une temporalité tout à fait normale, la durée d’occupation normale du poste allant de trois à quatre ans. Planifié depuis plusieurs mois, il ne relève pas, contrairement à certaines fausses informations relayées par des sphères prorusses, d’une révocation consécutive aux récentes déclarations du général Burkhard sur la Russie, qu’il a qualifiée de « menace durable proche et dimensionnante », le 11 juillet dernier. Pas plus qu’elle n’est une démission de l’intéressé : il est de notoriété publique que le président de la République et le CEMA entretiennent d’excellentes relations ; le premier ayant ainsi demandé au général, à l’été 2024, de rester en poste un an de plus.Le général Burkhard aura, durant ses deux années à la tête de l’état-major de l’Armée de terre puis ses quatre années comme CEMA, réformé l’institution de façon décisive. Trois grandes intuitions auront forgé son bilan et permis aux armées françaises de tourner définitivement la page du vingtième siècle.
Tout d’abord, dès 2019, soit bien avant la seconde invasion de l’Ukraine par la Russie, il est parmi les premiers responsables militaires au monde à percevoir que la conflictualité au vingt-et-unième siècle sera marquée par la désinhibition des puissances impérialistes et révisionnistes. Il axe ainsi son mandat de CEMAT autour de la guerre de haute intensité, en durcissant l’entraînement des soldats et en organisant, pour la première fois depuis plus de trente ans, un exercice de niveau divisionnaire (ORION, annoncé en 2021 et réalisé pour la première fois en 2023).
Il renouvelle ensuite en profondeur les relations militaires entre la France et l’Afrique. Le général Burkhard analyse que les bases militaires permanentes offrent aux sphères prorusses un levier dans le champ des perceptions : le groupe Wagner n’avait de cesse d’instrumentaliser cette présence en dénonçant des atteintes à la souveraineté des États africains. Le CEMA mène ainsi à bien, entre 2022 et 2025, la rétrocession de l’ensemble des bases militaires françaises en Afrique, à l’exception de Djibouti. La dernière emprise militaire française, le camp Geille, a été rendue au Sénégal le 17 juillet. Désormais, la France passe d’une logique de stock à une logique de flux, c’est-à-dire mission par mission, afin d’offrir un appui militaire plus agile à ses partenaires africains.
Enfin, le général Burkhard crée une véritable filière dans les armées dédiée à l’influence et à la lutte informationnelle. Le ministère des Armées est en effet le premier à se doter, dès 2021, d’un organisme central chef de file en matière de lutte dans le champ cognitif. De même, le général Burkhard crée le Commandement pour l’Afrique, dont l’une des principales missions est de coordonner la riposte aux fausses informations ciblant la France en Afrique. Plus largement, le réflexe du combat dans le champ des perceptions est désormais largement répandu dans les armées : les jeunes chefs de section qui sortent de Saint-Cyr savent que leur mission n’est plus seulement de prendre la tranchée d’en face mais également d’être présents dans la sphère informationnelle. Gagner la guerre de l’opinion publique est un facteur fondamental de supériorité opérationnelle sur les moyen et long termes. Comme le disait déjà Napoléon : « Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit ».
Le général Mandon hérite donc d’un bilan remarquable dont il devra ancrer les réformes dans la durée. En particulier, il lui reviendra de poursuivre la préparation des armées à la guerre de haute intensité, indispensable pour crédibiliser la dissuasion nucléaire française et préserver autant que possible la paix en Europe. Mais il devra aller plus loin.
Les militaires disent souvent que « la quantité est une qualité ». Or, l’armée française, déjà surmenée, ne serait aujourd’hui capable de déployer que de 5 à 10 000 soldats aux frontières de l’UE en cas de crise. C’est évidemment insuffisant. Dès lors, la réserve opérationnelle, vivier de soldats entraînés aux rudiments du combat d’infanterie, joue un rôle majeur. Alors que la guerre en Ukraine nous enseigne que l’infanterie reste la « reine des batailles », il est essentiel de poursuivre la montée en puissance de la réserve. Cette dernière reste ankylosée par des dossiers de candidature trop lourds, des modalités de convocation trop complexes ou un accompagnement RH insuffisant pour fidéliser les réservistes.
Par ailleurs, il sera essentiel de renforcer les liens entre les armées et le monde économique. Tout d’abord, pour sensibiliser les entreprises à la guerre hybride – notamment cyber, informationnelle et économique – que nous mènent nos compétiteurs. La capacité de résistance de la nation repose en grande partie sur la résilience du tissu économique. Ensuite, il est indispensable que les entreprises soutiennent leurs employés réservistes, en leur octroyant le temps nécessaire pour s’entraîner, soit au moins 30 jours par an. Enfin, les entreprises doivent se préparer à l’économie de guerre : la réorientation des activités du civil au militaire – à l’instar de Renault lors de la Première Guerre mondiale – ne doit plus être un impensé.