Nos besoins en terres rares nous mettent en position de soumission vis-à-vis de la Chine

Cyprien Ronze-Spilliaert et Alban Magro, chercheurs associés à l’Institut Thomas More

31 août 2025 • Opinion •


En limitant la capacité de ses clients à constituer des réserves de terres rares, Pékin veut maximiser le levier géopolitique qu’offre son quasi-monopole.


Le 15 août, quatre mois après avoir sévèrement restreint ses exportations de terres rares, Pékin a lancé un avertissement aux entreprises étrangères : la Chine ne les autorisera pas à lui acheter de larges quantités de terres rares pour accumuler des stocks importants. Pékin entend garder ainsi un contrôle strict de ses exportations. De fait, la Chine délivre les autorisations d’exportation au compte-goutte : en juin, la moitié des demandes étrangères a été refusée.

L’objectif est clair et assumé : en limitant la capacité de ses clients à constituer des réserves de terres rares, Pékin veut maximiser le levier géopolitique qu’offre son quasi-monopole. Traçabilité minutieuse des clients, maîtrise des licences d’exportation et interdictions ciblées : l’arsenalisation est subtile, mais efficace. En avril, Pékin avait brutalement resserré le robinet des exportations de terres rares, en réaction aux droits de douanes de Trump. La secousse avait été immédiate : le constructeur américain Ford avait été contraint de suspendre la production dans plusieurs usines en mai, créant une onde de choc parmi les dirigeants d’entreprise et responsables politiques. Cette pratique n’est pas nouvelle : déjà, en 2010, Pékin avait suspendu ses exportations de terres rares vers le Japon.

De fait, la Chine dispose d’une position ultra-dominante : elle contrôle environ 70 % des mines de terres rares et assure près de 90 % du raffinage. Surtout, Pékin contrôle 90 % de la production d’aimants aux terres rares, qui sont indispensables aux moteurs électriques, aux drones, aux éoliennes, aux radars, aux missiles ou encore aux disques durs. Plus largement, ces aimants sont essentiels à de nombreux secteurs de pointe (électrotechnique, mécanique, armement, etc.). Or, l’Europe importe 98 % de ce type d’aimants de Chine.

Les dépendances occidentales aux terres rares et aimants chinois ne sont pas qu’une vulnérabilité industrielle critique ; il s’agit d’une vassalisation économique et diplomatique de facto vis-à-vis de la Chine. Avec cette épée de Damoclès qui pèse sur leur économie, les Occidentaux ont-ils vraiment les moyens de soutenir Taïwan face à la menace chinoise ?

Pékin détient ainsi le pouvoir de bloquer des pans entiers de l’économie. Ses restrictions d’exportation peuvent mettre à l’arrêt des usines dans des secteurs systémiques, où l’interruption de production coûte cher : automobile, aéronautique, défense, chimie, etc. Concrètement, cela signifie des lignes de production ajustées au jour le jour, une incertitude élevée pour les entrepreneurs, des retards de livraison sur des programmes civils et militaires. Une pénurie prolongée pourrait même provoquer un choc d’offre négatif majeur, entraînant l’ensemble de l’économie dans une crise inflationniste.

Dès lors, que faire ?

D’abord, il convient de considérer les terres rares comme un enjeu de sécurité nationale. Cela suppose de constituer des stocks stratégiques ciblés pour la défense et pour les maillons critiques de la chaîne de transformation des terres rares (poudres, alliages, aimants, etc.), avec des règles claires de rotation des inventaires pour éviter l’obsolescence ou l’oxydation.

De plus, il est indispensable de sécuriser des contrats d’approvisionnement de long terme auprès d’alliés fiables, comme l’Australie, qui détient 4 % des réserves mondiales de terres rares, ou encore le Canada, qui dispose d’importantes réserves. Le gouvernement australien a indiqué qu’il serait prêt à fournir une « part significative » des approvisionnements occidentaux en terres rares.

En parallèle, l’Europe ne pourra faire l’économie d’accroître la production locale de terres rares, dans le respect de la démocratie locale. Des consultations locales, voire des débats nationaux, pourraient favoriser l’acceptabilité des projets, aux externalités négatives pour l’environnement immédiat. Des arbitrages entre les conséquences de l’extraction sur l’environnement local et notre autonomie stratégique (y compris dans notre capacité à mener à bien la transition énergétique) seront inévitables. Le Critical Raw Material Act (CRMA) de l’UE, adopté en 2024, va dans le bon sens : il fixe l’objectif, d’ici à 2030, d’extraire localement 10 % de la consommation européenne et d’en raffiner 40 %.

Il est également essentiel d’accélérer la constitution de capacités de recyclage et d’imposer une traçabilité en la matière dans la commande publique : pas d’achat d’aimants sans passeport de provenance et sans respect d’un certain taux de recyclage. Aujourd’hui, seule 1 % de la consommation européenne annuelle est recyclée. Le CRMA ambitionne de recycler, d’ici à 2030, 25 % de la consommation annuelle de l’UE en terres rares.

Enfin, il est crucial d’appréhender la création de chaînes de transformation des terres rares à l’échelle de l’UE, afin de favoriser des achats groupés à forte volumétrie, des normes communes et le financement de projets transfrontaliers.

L’arsenalisation chinoise n’est pas une fatalité : plus la France et l’Europe diversifieront et recycleront, moins elles seront exposées aux aléas des exportations chinoises. C’est à ce prix que la transition énergétique restera possible, que notre base industrielle sera robuste et que notre autonomie stratégique cessera d’être un slogan.