
4 septembre 2025 • Analyse •
Entouré notamment du Russe Poutine et du Nord-Coréen Kim Jong-un, le dirigeant chinois Xi Jinping a présidé hier une grande parade militaire et exhibé toute sa nouvelle force diplomatique. Reste que les pays de l’Organisation de Coopération de Shanghai réécrivent l’histoire. Seule l’Inde, également présente, garde ses distances. « Que le président Xi et le merveilleux peuple chinois passent une excellente journée de célébrations », a écrit de son côté le président américain Trump, avant de se faire railleur : « Veuillez transmettre mes salutations les plus chaleureuses à Vladimir Poutine et Kim Jong Un pendant que vous conspirez contre les États-Unis d’Amérique »…
Front-anti-occidental ? Anti-américain ? Ces derniers jours, on cherche à qualifier la séquence diplomatico-médiatique orchestrée par Pékin et ses partenaires les plus proches, dont la Russie de Vladimir Poutine. Elle a débuté en Chine, à Tianjin, dimanche 31 août dernier avec le sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) et s’est achevée mercredi 3 septembre, en grande pompe, à Pékin à la gloire des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale… du moins sur son front oriental.
Mauvaise passe pour Donald Trump
La conduite erratique de l’administration Trump en matière de politique étrangère a offert un boulevard communicationnel à l’hôte chinois qui a su chorégraphier les attributs de la superpuissance qu’elle est devenue.
Cette opération de communication a aussi consisté à transmettre des signaux favorables pour un élargissement du club des pays de l’OCS, composé de dix États fondateurs (dont la Russie et la Chine) et désormais dix-sept pays « partenaires », avec l’entrée toute récente du Laos. Ses différentes déclarations jointes font étalage, sous la forme d’une liste à la Prévert, des points de consensus entre membres pour la construction d’une gouvernance mondiale plus respectueuse et égalitaire, faisant la part belle aux pays en voie de développement (PVD) et les moins avancés (PMA), prétendument délaissés par les pays occidentaux et leurs institutions.
Mais la signification profonde de cette séquence savamment marketée ne doit pas nous échapper. Car le basculement qu’elle met en scène pose les bases idéologiques d’une confrontation future majeure avec les grandes démocraties, y compris militaire. Dans son discours du 3 septembre tenu à l’occasion d’une parade militaire commémorative, Xi Jinping présente son pays victorieux lors du second conflit mondial dans la lutte contre le « fascisme mondial », une expression utilisée en son temps par l’URSS de Joseph Staline pour désigner le combat « des forces démocratiques et progressistes » contre une idéologie fasciste anti-communiste, incarnée notamment par le camp du social-libéralisme (1). Le concept de fascisme fournit aujourd’hui aux régimes russe et chinois une référence idéologique commune. Il sert aussi à effacer de la mémoire collective les crimes perpétrés par les régimes totalitaires communistes chinois, soviétique et, accessoirement nord-coréen… jusqu’à aujourd’hui.
Déclaration finale lunaire
Pas un mot en effet sur la guerre d’agression de la Russie dans la Déclaration jointe finale, tandis qu’elle dénonce avec force Israël et les États-Unis pour leur « invasion militaire » en Iran qui, selon le texte, viole « les principes de la Charte des Nations unies, porte atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Iran, compromet la sécurité régionale et internationale et a de graves conséquences pour la paix et la stabilité dans le monde ». Il y aurait ainsi, selon ce narratif, des démocraties coupables de leurs crimes, passés et présents, et d’autres États, leurs victimes, jouissant d’un droit de tirage spécial devant l’histoire, se plaçant au-dessus du droit international et de leur responsabilité devant les peuples.
La rhétorique d’un « fascisme » assimilé au camp libéral reprend les termes de la propagande russe paranoïde voyant dans les élites ukrainiennes une réincarnation imaginaire du nazisme d’hier. Elle fait aussi des émules sur la scène politique taiwanaise où des responsables du parti pro-Pékin, le KMT, ont accusé récemment le parti au pouvoir, le DPP de « fasciste ». Elle pourrait s’abattre sur toute société démocratique libre.
Par ailleurs, cette entreprise de travestissement de l’histoire peine à dissimuler ses vrais buts de guerre : opérer un double hold-up sur les institutions onusiennes et du multilatéralisme de l’OMC comme autant de marchepieds d’une politique d’expansion planétaire. C’est, en outre, la teneur de la nouvelle proposition chinoise sur pour une « gouvernance globale » dans laquelle Pékin se présente comme « le plus grand pays en développement du monde » capable de guider le « sud global » sur la voie de la croissance. On voit se préciser toute l’utilité pratique de l’attelage sino-russe dont l’idéologique commune anti-occidentale sert de bélier pour faire progresser leur intérêts stratégiques et économiques et, dans le même temps, faire reculer les positions des économies libérales avancées.
Création d’une banque de développement pour l’OCS
L’économie est probablement le domaine d’action où les avancées sont les plus concrètes. A cet égard, le Sommet de Tianjin marque un tournant institutionnel dans le prolongement du sommet précédent de l’OCS, à Astana, au mois de juillet 2024. Il met en œuvre la stratégie de développement économique et financière qui avait été arrêtée. L’organisation tente désormais de faire coïncider les attendus économiques et stratégiques de sa feuille de route globale, quitte à fragiliser l’utilité ou la pertinence de l’aéropage des « BRICS ». Ce qui laisserait à penser que l’OCS est pour leurs fondateurs devenue la seule plateforme susceptible de faire contrepoids aux institutions de Bretton-Woods et de réformer l’architecture et les traités de sécurité internationale hérités de l’après seconde guerre mondiale. La Chine manifeste déjà clairement sa volonté de mettre en place une réforme financière et des marchés financiers internationaux. L’annonce de la création d’une nouvelle banque rattachée à l’OCS constitue en l’espèce un pas supplémentaire dans cette direction.
Cependant, pour ce qui concerne les futurs développements de l’OCS, une superpuissance en devenir pourrait ralentir le projet politique et économique emmené par la Chine : l’Inde de Narendra Modi. Alors que Pékin ne cesse d’exhorter l’Europe à mettre en œuvre son « autonomie stratégique » pour la désarimer durablement de l’orbite des États-Unis, elle ne pousse pas l’Inde à développer sa stratégie diplomatique du multi-alignement. Et pour cause : une lecture comparée des comptes-rendus séparés de Delhi et de Pékin au sujet du Sommet de Tianjin fait apparaître le fossé stratégique qui sépare les deux géants asiatiques. Pékin y prône l’avènement d’un monde multipolaire affichant la priorité qu’il accorde à remettre en cause le leadership américain. Mais la diplomatie indienne rectifie la focale du tir en appelant de ses vœux l’avènement, avant toute chose, d’une Asie multipolaire… La gouvernance est une affaire trop sérieuse pour la laisser entre les seules mains chinoises, semble-t-elle suggérer.
Note •
(1) A partir du VIème congrès de la Comintern en 1928, la direction stalinienne a promu la thèse selon laquelle la social-démocratie était souvent un « fascisme sous une autre forme » – façonnant une sorte de continuité entre la social-démocratie et le fascisme, les deux étant présentés comme des ennemis du communisme.