
19 octobre 2025 • Entretien •
Alors que la question transgenre s’est imposée comme un marqueur central des débats sociétaux récents, de nouvelles données suggèrent un reflux net du phénomène chez les jeunes. Aux États-Unis, la proportion d’étudiants s’identifiant comme trans ou queer a chuté de moitié depuis 2023.
Les données d’un nouveau rapport du Centre for Heterodox Social Science montrent que, depuis 2023, l’identification trans et queer a fortement chuté au sein de la génération Z. La Foundation for Individual Rights and Expression (FIRE) a mené une vaste enquête annuelle, en interrogeant plus de 60 000 étudiants américains en 2025. Seulement 3,6 % des personnes interrogées se sont identifiées à un genre autre que masculin ou féminin. Ce chiffre était de 5,2 % en 2024 et de 6,8 % en 2022 et 2023. Comment interprétez-vous la baisse rapide de l’identification trans et queer chez les jeunes depuis 2023 ? Comment expliquer ce phénomène et cette évolution ?
Il faut poser la question dans l’autre sens : qu’est-ce qui faisait de nombreux jeunes « s’identifier trans et queer » ? Deux raisons. D’abord un intense malaise ; il s’agit de jeunes qui se sentent profondément mal dans la masculinité pour les garçons, dans la féminité pour les filles, et qui cherchent à se l’expliquer, d’abord à eux-mêmes, et à leur entourage.
Tout enfant, tout adolescent a besoin de s’expliquer ce qu’il se passe pour lui : l’interrogation sur la sexualité est cruciale à cet égard. Déjà la question : pourquoi y a-t-il deux sexes ? Elle se concentre en enfance sur le fait qu’il y a deux parents, un père et une mère : cela soutient l’explication de la sexualité comme ce qui permet la venue au monde des enfants. Leur débat intérieur demeure enfoui, les enfants de chacun des sexes se contentant de rester prudemment à l’écart les uns des autres sur les cours de récréation et de dénigrer l’autre sexe : « les filles c’est bête, les garçons c’est vantard »
À l’adolescence surgit la question d’une attirance d’un sexe envers l’autre, qui engagerait une intimité partagée entre eux ; comment se sentir à l’aise comme garçon, comme fille, permettant d’approcher l’autre sexe et de le séduire ? Tout jeune est gagné par ce débat, qui le confronte à l’inconnu : qu’est-ce qui attire l’autre sexe, comment répondre à son attente ?
Sans toujours le reconnaître, les jeunes sont à l’affût des réponses que les adultes ont trouvé pour vivre notre condition humaine d’êtes sexués : ils cherchent leur voie en se référant intimement au parent de même sexe, cherchant le repère guidant l’appropriation, du masculin pour le garçon, le féminin pour la fille, bref en s’identifiant ; même si c’est pour s’en démarquer, chacun trouve là le modèle qui fait un axe psychique sur lequel s’appuyer pour grandir. Il s’agit là de l’identification psychique œuvrant entre les générations, identification dans une dynamique « verticale » de transmission ; elle favorise une exploration de ce que seraient le masculin/le féminin, et dès lors leur appropriation selon son sexe – parfois malaisée si la relation a été tumultueuse.
Là s’aperçoit une deuxième raison. Certains jeunes se sentent buter sur cette appropriation, l’identification au parent de même sexe ne portant pas pour eux un modèle qu’ils puissent faire leur ; cela leur fait éprouver un grand désarroi. Grandir comme garçon ou comme fille, si on se sent en mal d’intérioriser le masculin ou le féminin, devient une épreuve. D’autant que nos vies de société ont distendu le lien de transmission depuis la génération précédente qui appuie les jeunes pour grandir, à la raison d’une « libération éducative » prônant de les dégager d’une domination des adultes et de s’émanciper de leur modèle.
Il en résulte que le repère d’identification n’est plus cherché dans la verticalité du lien généalogique, parce qu’elle a été suspectée d’être oppressive, mais dans l’identification groupale, « horizontale » en quelque sorte, auprès des pairs et non des pères ; l’identification se fait vers celles et ceux déclarant vivre ce même malaise les décalant du partage de la sexualité entre les sexes ; cela s’appelle « s’identifier comme » (et non pas « à »). Promouvoir cette « libération » a suscité une sorte de carte blanche délivrée à chacun pour décider et déclarer quelle serait la réalité vraie de son sexe selon son « ressenti » (le « wokisme ») et son aspiration à telle vie sexuelle : c’est « l’auto-détermination de genre ». Cela permet de surmonter le désarroi intime, grâce à l’existence d’un groupe la ressentant identiquement. L’identité sexuée devient déclarative, maîtrisant l’épreuve à laquelle elle confronte.
Faire d’un sentiment subjectif éprouvant (« je me ressens mal dans mon vécu de garçon ou de fille ») une réalité objective certifiée par une communauté (« je suis en vérité une fille ou un garçon »), cela fait la « solution » offerte par notre époque qui a déconsidéré le lien psychoaffectif entre les générations, au sein de la vie familiale ; mais c’est plutôt un contournement de l’épreuve qu’une solution véritable. Cette évolution sociale résulte d’une place donnée au discours des « minorités sexuelles », évolution pleinement justifiée pour réparer le fait de les avoir disqualifiées, voire persécutées, ainsi dans la vie des sociétés anglo-saxonnes, Grande-Bretagne et États-Unis, sociétés imprégnées de rigueur normative. Il y avait un bien-fondé à cette démarche de réparation, le souci de ne pas discréditer le vécu personnel de personnes qui n’opte pas pour le masculin pour le garçon, le féminin pour la fille ; mais cela a abouti à valider une explication erronée au désarroi qu’ils vivent, réfugié derrière le label d’un étiquetage faisant parade au regard extérieur jugé discriminant : « je suis », personne ne saurait objecter, mais cela faisant, de se dire trans ou queer, une vérité objective alors qu’elle est d’abord subjective. La caractérisation a pris le caractère d’une protection contre le fait d’être discrédité, protection qui fut justifiée dans les sociétés normatives – mais au prix d’une illusion créée. Car se sentir être de l’autre sexe n’équivaut pas à être de l’autre sexe.
La proportion d’étudiants transgenres a diminué de moitié en seulement deux ans aux Etats-Unis, selon les données du Centre for Heterodox Social Science et de FIRE. Quelle a été l’ampleur de cette vague et de ce recul dans les pays occidentaux ? Voyez-vous en consultation, en France, une évolution similaire à celle observée aux États-Unis ?
La vague a correspondu au leurre d’une solution magique en mesure de résorber l’intense malaise psychoaffectif ; l’explication « tu te ressens mal comme garçon » conduisant à « c’est que tu es une fille », évite mais surtout détourne d’interroger le malaise à s’établir comme garçon et de le soulager. Or la magie ne fonctionne qu’un temps ; et de plus en plus de témoignages et d’études témoignent désormais du leurre. On sait ainsi que le risque suicidaire, qui fut mis en avant pour plaider la transition des jeunes concernés, n’est pas diminué par les transformations médico-chirurgicales. Et la demande de détransition, longtemps cachée, est désormais connue – jusqu’à des plaintes déposées en justice.
Peut-on parler d’un « effet de mode » qui s’estompe ? Les jeunes concernés ont-ils atteint une forme de saturation face à la surmédiatisation de l’identité trans et queer ?
Il serait inconvenant de parler de « mode » pour un sujet qui concerne une intense souffrance psychoaffective ; il n’y a pas eu de « mode » du suicide après la parution du Werther de Goethe, mais un embrasement vers une solution semblant soulager. On peut parler plutôt d’un phénomène de trans-identification, l’idée de transidentité et de transition ayant été proposée en remède. Ce qu’il faut condamner alors, c’est que ce remède soit proposé aux jeunes qui ne peuvent mesurer qu’il s’agit d’une solution factice : ils ne sont pas en mesure d’appréhender qu’il n’y a jamais transidentité au sens d’être de l’autre sexe, juste une possibilité d’apparaître de l’autre sexe vis-à-vis des proches et de l’environnement social. Cela ne peut devenir clair qu’à l’âge adulte – disons à 25 ans révolus ; alors chacun peut prendre sa décision pour lui-même.
Certains avancent que l’amélioration de la santé mentale post-Covid expliquerait cette évolution. Ce lien vous paraît-il plausible ?
L’épidémie de COVID a fait des ravages parmi les jeunes, avec les effets délétères du confinement décidé ; de là à la mettre comme explication, il y a un pas qui serait un « confinement réducteur » de la réflexion sur la question « transgenre ».
Quelles conséquences cette évolution pourrait-elle avoir sur la façon d’aborder les questions de genre dans les accompagnements et les soins psychiatriques pour enfants et adolescents ?
Il faut d’abord supprimer du vocabulaire « les questions de genre » ; la phraséologie émanant du gender nord-américain est la double erreur d’une traduction (gender et genre n’ayant pas du tout les mêmes champs sémantiques) et de conceptualisation (les problèmes des jeunes et des moins jeunes vis-à-vis de la sexualité sont connus de longue date et n’appellent pas à en « genrer » la réflexion).
Il faut se concentrer sur l’approche psychoaffective des intenses désarrois qui sont concernés ; la psychologie française sait les aborder de longue date dans une approche de compréhension, certes sans pouvoir magique, mais en allant au cœur de la problématique, avec tact et dans le respect des jeunes concernés.