 
				31 octobre 2025 • Opinion •
A l’occasion de la publication de son rapport Politique numérique d’Emmanuel Macron : le bilan, Cyrille Dalmont, répond aux questions du Figaro. Il y dresse le pâle inventaire de l’action d’Emmanuel Macron dans le secteur du numérique. Pour lui, le retard de l’Europe en la matière s’explique en grande partie par la désindustrialisation du continent.
Vous soulignez un décalage entre les ambitions en matière de transformation numérique exprimées par le président de la République et son bilan. Comment l’expliquer ?
Emmanuel Macron a prononcé 23 discours majeurs sur le numérique entre 2017 et 2025 : Start-up Nation, quantique, intelligence artificielle, souveraineté européenne, cyberdéfense, etc. mais jamais articulés autour d’une logique d’écosystème cohérente. Et de fait, la France se félicite de compter 28 licornes, soit 23 % de la capitalisation totale des licornes européennes, lesquelles ne représentent que 7 % de la capitalisation mondiale des licornes. Quand les géants américains de la tech ont multiplié leur capitalisation par quatre, et les grands contrats publics de cloud ont été confiés à Azure, AWS ou Google. Le Président a confondu volontarisme déclaratif et stratégie industrielle. Résultat : la France est devenue une puissance numérique de tribune dans les organisations internationales… et une colonie technologique dans les faits.
Le débat autour de la gouvernance et de la souveraineté du Health Data Hub, centre d’hébergement des données de santé des Français chez Microsoft avait ce printemps mis en lumière nos défaillances en matière de souveraineté numérique. Pourquoi la France demeure-t-elle « locataire » des Etats-Unis et des GAFAM malgré des investissements publics massifs ?
L’affaire du Health Data Hub n’a pas créé la dépendance, vous avez raison, elle n’a fait que révélé l’affaissement numérique de la France dans son intégralité. En 2019, l’État a choisi Microsoft Azure pour héberger les données de santé des Français et, en 2022, la CNIL a confirmé qu’aucune alternative européenne n’était techniquement capable de répondre au cahier des charges. En 2023, le contrat a donc été prolongé faute de solution souveraine. La France a fait des investissements, certes, mais on ne peut pas considéré qu’ils soient massifs compte tenu de l’enjeu économique que cela représente. Aujourd’hui la capitalisation mondiale du numérique représente 35 % des 136 000 milliards de la capitalisation mondiale. Ce n’est pas un problème d’intention mais d’échelle : la France investit en dizaines, parfois en centaines, de millions là où les États-Unis et la Chine investissent en centaines de milliards.
Vous montrez que le secteur du numérique pâtit de choix contestables en matière de politique énergétique. L’écosystème numérique français est-il tributaire d’un mouvement de désindustrialisation lié à des orientations européennes antérieures aux mandats Macron ?
Le numérique est par nature énergivore et la numérisation massive de nos sociétés amplifie ce phénomène. Entre 2022 et 2024, la demande mondiale d’électricité a progressé de +4,2 % : +6,7 % en Chine, +5,1 % en Inde, +3,1 % aux États-Unis, quand l’Union européenne atteint à peine +1,9 %. Ce différentiel n’est pas seulement la conséquence des politiques de sobriété énergétique promues par la Commission européenne sous la pression des lobbys écologistes. Il traduit surtout une désindustrialisation profonde du continent : moins d’usines, donc moins d’énergie consommée. Le rapport Draghi remis à la Commission en septembre 2024 évalue le coût moyen de l’électricité européenne à 2,5 fois celui des États-Unis et à près de trois fois celui de la Chine. Autrement dit, nous rêvons d’une industrie numérique compétitive avec l’énergie la plus chère du monde : une chimère. Tant que l’énergie ne sera pas vu comme un enjeu stratégique, et même de survie, l’Europe restera une puissance désindustrialisée qui se donne bonne conscience.
Il y a, selon vous, un paradoxe entre un « paysage normatif hypertrophié » caractérisé par une surabondance de textes réglementaires, et l’absence d’un cadre stratégique orienté vers la souveraineté numérique. En quoi le droit français empêche-t-il la structuration d’un marché national compétitif dans le numérique ?
L’Europe a construit sa stratégie numérique autour d’une ligne Maginot normative pour protéger coûte que coûte son « dogme » du droit européen de la concurrence, pourtant aujourd’hui dépassé. Depuis 2018, se sont succédé le RGPD, le DSA, le DMA, la directive NIS2, l’AI Act, le Data Act, le Cyber Resilience Act, le Chips Act et bientôt l’EUCS pour ne citer que les plus connus. Chacun d’eux ajoute une couche normative, des contraintes et des surcoûts, mais aucun ne favorise l’innovation, la réindustrialisation ou l’agilité économique. Dans le même temps, les USA et la Chine adaptent leur droit pour favoriser leur industrie nationale. Enfin, la France, bon élève jusqu’à l’aliénation, a fait une surtransposition exemplaire du droit européen de la concurrence dans le code de la commande publique : neutralité concurrentielle absolue, interdiction de préférence technologique, ouverture des marchés. Et pour parachever notre impuissance, l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC nous empêche d’orienter notre dépense publique vers les entreprises nationales. Résultat : l’impôt des Français finance des entreprises numériques étrangères.
Comment sortir de la « spirale de dépendance structurelle et croissante » vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis ? Doit-on repenser notre utilisation de la commande publique ?
Sortir de la dépendance, c’est d’abord sortir du carcan du droit européen de la concurrence et de l’AMP, devenus des outils de désarmement économique. Il faut également se réarmer moralement et retrouver le goût du progrès, de l’innovation et de la croissance, remplacés en Europe par la décroissance, la sobriété et la peur de l’avenir.
Ce réarmement suppose une énergie souveraine, abondante et pilotable, condition préalable à toute industrie moderne. Il faut libérer les énergies productives du pays étouffées par la sur-administration et la prolifération normative. Nous devons reconnecter la formation initiale et professionnelle aux besoins réels de l’économie : nous formons plus de gestionnaires et de régulateurs que d’entrepreneurs, de bâtisseurs ou d’ingénieurs.
Enfin il est indispensable de cesser de perdre notre temps dans des débats budgétaires d’un autre siècle, où l’État se prend encore pour l’alpha et l’oméga de l’économie, au lieu d’inciter fiscalement et financièrement la réindustrialisation massive dont notre pays a tant besoin.
La commande publique doit redevenir un instrument de politique économique, au service du développement national. Nous avons fait du droit notre seule stratégie économique. Il est temps de refaire de la puissance notre horizon.
 
		