Réforme des retraites · Les conséquences néfastes de la suspension

Michel Vaté, chercheur associé à l’Institut Thomas More

1er novembre 2025 • Analyse •


Avec la suspension de la réforme des retraites, le gouvernement joue la montre et risque de conduire à l’effondrement de tout un système, alerte Michel Vaté, professeur émérite des Universités et chercheur à l’Institut Thomas More.


Tous les voyants sont au rouge, le système français des retraites est en danger. Après la suspension de la réforme des retraites, Renaud Villard, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), vient d’alerter vigoureusement sur le risque d’embolie du système lors de son audition au Sénat.

Cette décision constitue une non-assistance à « système en danger ». Elle tient en quatre questions. Le gouvernement et le parlement sont-ils conscients du danger imminent ? oui ! Sont-ils en mesure d’intervenir ? oui ! Ne pas agir (suspension) est-il délibéré ? oui ! Leur action serait-elle dangereuse pour des tiers ? non ! sauf peut-être pour eux-mêmes, par opportunisme politicien. Le gouvernement gagne du temps. Mais la France s’énerve.

Est en jeu ici rien moins que la solidarité nationale qui se fracture, victime depuis quarante-cinq ans du mythe de la prospérité spontanée : congés allongés (travailler moins), trente-cinq heures (encore moins), retraite à soixante ans (toujours moins). Et le mouvement s’accélère dans la dernière période, nourri par la dégradation de l’action publique, malgré l’explosion des budgets qui lui sont alloués.

Ne jouons pas sur les mots. On abuse du mot « réforme » : l’initiative de 2023 n’est qu’un réglage paramétrique du système, en réponse aux changements structurels de son environnement. Ce réglage est d’ailleurs dans l’ADN du régime par répartition depuis l’origine : il en garantit l’équilibre et la pérennité. Une vraie réforme étant « un changement profond apporté à la forme d’une institution dans le but de l’améliorer ou d’en obtenir de meilleurs résultats » (dictionnaire Robert), elle devrait toucher les structures du système et ses règles essentielles. C’est ce que refusent le gouvernement et les députés.

Or, on ne peut pas, en même temps, être en adoration perpétuelle devant le système par répartition et ne pas avoir le courage de faire ce qu’il faut pour éviter sa faillite. Dans l’euphorie de la Libération, avec la perspective d’une forte dynamique de l’économie et de la démographie, le système par répartition avait tout pour plaire. Fondé sur une éthique de la solidarité entre générations, il réclame une éthique de la responsabilité dans la durée. Séduisant, certes, mais exigeant.

La solidarité d’abord. La règle de base est que, dans une année N, les pensions versées aux retraités sont équilibrées par les cotisations payées par les actifs. Apparemment simple, ce principe cache une équation complexe avec cinq inconnues principales : taux de remplacement (pension/revenu), période de référence, taux de cotisation, durée de cotisation, et âge de départ. On apprend au collège qu’une équation unique avec cinq inconnues est indéterminée. Pour calculer la valeur d’équilibre d’une des « inconnues », par exemple l’âge de départ, il faut fixer les quatre autres. Si on ne veut pas garder la valeur trouvée, alors il faut impérativement jouer sur les autres paramètres. Parmi une infinité de combinaisons, un choix doit donc être fait, justifié et assumé. En cas d’échec comme aujourd’hui, la nécessité d’une vraie réforme monte d’un cran.

Puis vient la responsabilité. L’équilibre obtenu pour l’année N ne vaut que si l’environnement reste stationnaire et stable. Pour l’instabilité, une gestion financière très réactive suffit. En revanche, la solvabilité du système est menacée dès qu’une dégradation exogène de l’équilibre est en vue. Ainsi, l’atonie de la croissance est une mauvaise nouvelle pour les retraites. Mais c’est aussi le cas de l’allongement de l’espérance de vie des retraités… dont on se réjouit à raison !

En cotisant, le sujet actif acquiert le droit irrévocable de participer à la future répartition en tant que retraité. Par ce geste, il remplit complètement sa part du contrat social. Le moment venu, la réciprocité lui est due. Le prix payé étant assis sur le revenu du travail de chacun, ce « droit de propriété » est inviolable et sacré, selon les termes de la Constitution. L’Etat en est le garant, et s’interdit de réclamer aux retraités – par l’impôt ou une réduction de pension – de payer un supplément pour un droit qu’ils ont déjà acquis à titre onéreux ! A défaut, on serait quelque part entre Ponzi et Madoff.

La marche est devenue trop haute, un simple ajustement paramétrique ne suffira plus. La productivité et l’innovation ne se décidant pas par décret, et la natalité non plus, le moment est critique : il faut choisir entre travailler plus ou réformer vraiment. A leur niveau anti-économique actuel, le surendettement public et la fiscalité sont des voies sans issue. Comme pour les risques extrêmes et les autres défis du temps long, il ne reste que le recours au capital et à la finance convergente (investissement-assurance-marchés). Ici, cela s’appelle l’ouverture à la capitalisation. Nécessité fait loi, n’en déplaise à ceux qui, depuis cinquante ans, ont tout fait ou laissé faire pour en arriver là.