17 novembre 2025 • Opinion •
Ce 12 novembre, à Toulouse, Emmanuel Macron a expliqué qu’il réfléchissait à quitter X et peut-être d’autres réseaux sociaux, pas « demain matin » mais bientôt. Un président qui plafonne entre 11 et 17 % d’opinions favorables peut sûrement se permettre bien des choses, mais pas la franchise involontaire. Ce qui pourrait ressembler à un caprice est en réalité un aveu d’impuissance : l’incapacité de contrôler le réel et l’opinion des Français. On ne quitte pas spontanément les réseaux sociaux quand on les utilise depuis huit ans comme chambre d’écho présidentielle, jusqu’à se travestir en avatar « IA » pour montrer que l’on est moderne. On s’en détourne quand on ne maîtrise plus ni les effets, ni le récit, et que celui-ci déborde par-dessus les digues médiatiques censées en contenir l’interprétation.
Pourtant, on aurait tort de sourire à cette déclaration qui n’est que la dernière en date d’une tentation qui s’affirme de plus en plus clairement comme celle de ce « camp du Bien » assiégé qu’est devenu tout le progressisme européen : reprendre le contrôle des plateformes, du récit et, idéalement, de ce que les citoyens sont autorisés à voir, savoir ou discuter. Ce qu’a dit le président de la République à Toulouse rejoint ce que dit la gauche danoise, britannique, espagnole ou bruxelloise. Elles prétendent s’inquièter de « la désinformation » mais ce qu’elles redoutent par-dessus tout, c’est la désintermédiation des médias traditionnels.
Et le vrai déclencheur de ce phénomène n’est pas français : il s’appelle Trump 2024. À Washington, un candidat devenu indésirable dans 80 % des rédactions a repris le pouvoir en contournant, ignorant, voire en méprisant les médias mainstream. Il a contourné les fact-checkers, raillé les modérateurs et utilisé les réseaux sociaux de manière massive, à commencer par son propre réseau social « Truth Social ». Les élites européennes ont assisté en direct à l’effondrement d’un pouvoir politico-médiatique persuadé de détenir le monopole de la description du réel et ont soudain compris qu’il pouvait être débordé par une masse d’utilisateurs, de vidéos, de messages, de récits alternatifs. Bref, par le réel et une part massive des citoyens. Une idée tenace s’est donc installée dans tous les cercles progressistes européens : si un dirigeant jugé « inacceptable » peut revenir au pouvoir grâce à des plateformes libres, alors les plateformes ne doivent plus être libres.
Il suffit de regarder ce qui se passe en Europe pour mesurer l’ampleur du phénomène. À Copenhague, la gauche prépare l’interdiction des réseaux sociaux pour les mineurs de moins de 15 ans. À Londres, le gouvernement Starmer met en place une unité de police chargée de surveiller les contenus « anti-migrants » et durcit l’encadrement des publications liées à l’immigration. À Madrid, la lutte contre la « désinformation » se traduit par des projets de loi imposant aux plateformes et aux influenceurs de publier des rectificatifs sous contrôle étatique. En Belgique, le gouvernement s’appuie sur des « organisations de confiance » (issues de la gauche associative) pour obtenir des retraits accélérés de contenus jugés illégaux. Au niveau communautaire enfin, la Commission européenne utilise le règlement sur les services numériques (DSA) comme levier de pression algorithmique pendant que le règlement EMFA (European Media Freedom Act) ouvre la voie à l’ingérence dans les rédactions médiatiques au nom de « l’indépendance » journalistique. Partout, la même mécanique : plutôt que de contredire une opinion, on cherche à l’empêcher d’exister par la censure, et le plus souvent, par la mort sociale de son auteur.
Le gouvernement français, de son côté, n’a pas ménagé sa peine. Depuis 2017, l’exécutif a méthodiquement construit un dispositif de domestication du discours public. Tout y est passé : la loi de 2018 contre la « manipulation de l’information » qui entendait définir ce qui est « vrai » en période électorale ; la plateforme « Désinfox coronavirus » qui centralisait les contenus acceptables pendant la crise sanitaire (et qui fut vite suspendue) ; la loi Avia qui voulait pénaliser la « haine », autrement dit un sentiment ; la commission Bronner, qui voulait déterminer la pensée légitime de la pensée déviante ; la loi SREN qui prévoyait un bannissement numérique ; les fermetures administratives de chaînes de télévision, les suspensions administratives ; les pressions sur le groupe Bolloré (CNews, Europe 1 et JDD) ; la délégation du signalement des propos « haineux » à un cartel d’associations subventionnées ; sans oublier l’idée, en 2023, de couper les réseaux sociaux en cas d’émeutes pour empêcher les Français de constater l’ampleur de la catastrophe.
En réalité, ce que nos élites ne supportent pas, c’est que des millions de citoyens puissent filmer ce qu’ils voient, contester ce qu’on leur dit, vérifier eux-mêmes les affirmations officielles et partager des récits qui ne passent plus par les filtres traditionnels. Le président Macron l’a d’ailleurs clairement formulé lors de ses vœux à la presse, en 2020, lorsqu’il a expliqué aux journalistes qu’il fallait « définir collectivement le statut de tel ou tel document ». Une phrase passée presque inaperçue, mais qui dit tout : si l’État doit définir le statut d’un document, alors c’est l’État qui détermine si une information est recevable, vraie et admissible. Le droit à l’information cesse d’exister, il devient une compétence de l’État.
Ce n’était pas un dérapage mais l’affirmation d’une doctrine dangereuse à l’égard de la liberté d’expression. Nous glissons sans y prendre garde vers un modèle dans lequel la liberté d’expression nécessitera une autorisation administrative et pourra faire l’objet d’une suspension, voire d’une révocation définitive.
Le monopole médiatique que la gauche a patiemment construit en Occident depuis cinquante ans tremble sur ses bases. Et d’autant plus que les nouvelles générations s’en sont affranchies, puisqu’un jeune sur deux s’informe principalement sur les réseaux sociaux quand 60 % des plus âgés restent fidèles aux journaux télévisés. La tentation de la censure devient donc, pour elle, une arme de réappropriation politique.