18 novembre 2025 • Entretien •
Pour l’Institut Thomas More, Victor Fouquet vient de publier un rapport sur la fiscalité de l’héritage. Il explique au Figaro pourquoi la France devrait abandonner l’impôt progressif en la matière et s’inspirer de l’impôt proportionnel italien.
La fiscalité de l’héritage pose une question politique fondamentale sur les rôles respectifs de l’État et de la famille, expliquez-vous. Quels en sont les fondements philosophiques ?
Avant d’être un sujet financier, la fiscalité de l’héritage est d’abord un sujet anthropologique, où des visions s’opposent sur les rôles de l’État et de la famille en matière de solidarité. Celle-ci doit-elle procéder de l’État ou passer en priorité par la famille ? L’utilisation de l’impôt progressif sur l’héritage afin de réduire les inégalités patrimoniales entre enfants de familles différentes contrarie les transferts altruistes de parents soucieux de diminuer les inégalités entre leurs propres enfants, c’est-à-dire entre enfants d’une même famille. La taxation des transmissions entrave – d’autant plus qu’elle est progressive – le rôle joué par l’héritage familial dans la compensation éventuelle des inégalités de ressources au sein d’une même fratrie. Le sujet revêt comme peu d’autres une dimension existentielle, qui explique le décalage entre la place importante qu’occupent les droits de succession et de donation dans le débat public et leur place réduite dans les recettes fiscales (moins de 1,6 % des 1 345 milliards d’euros de prélèvements obligatoires prévus en 2026).
En quoi l’abandon de la proportionnalité au profit de la progressivité, au tout début du XXe siècle, a-t-elle marqué un bouleversement dans la conception de l’impôt ?
C’est en effet par le biais des droits de succession que la progressivité de l’impôt fut en 1901 introduite en France, treize ans avant la création de l’impôt sur le revenu de Joseph Caillaux. Institués sous leur forme moderne par la Révolution française, les droits de succession ont donc été proportionnels de 1790 à 1901. Les droits de donation, quant à eux, ne sont devenus progressifs qu’en 1942, sous le régime de Vichy. Un changement complet s’est opéré. Avec la progressivité, l’impôt n’est plus seulement ni même prioritairement la contrepartie d’un service rendu par l’État – en l’occurrence, la reconnaissance d’un transfert de propriété ; il devient un instrument privilégié de redistribution des richesses et de correction des positions sociales, en rupture avec la lettre et l’esprit mêmes de la Déclaration de 1789. Son article 13 fait clairement ressortir que, s’il est fondé à prélever l’impôt en proportion des richesses de chacun pour assurer ses fonctions régaliennes, le fait pour l’État de corriger par un impôt progressif les inégalités de patrimoine ou de revenu relève d’un tout autre paradigme.
Quels liens entretient la fiscalité des successions avec le droit de la famille ?
La fiscalité de l’héritage est indissociable du droit de la famille. Contrairement au système anglo-saxon, notre tradition juridique continentale restreint la liberté testamentaire afin de protéger les droits des enfants – avec, sous-jacente, l’idée que la liberté absolue du propriétaire heurterait les intérêts de la famille. La dévolution légale et le droit à l’héritage des enfants priment sur la dévolution volontaire et le droit de propriété des parents. En interdisant aux parents de déshériter tel enfant au profit de tel autre, la « réserve héréditaire » codifiée en 1804 par le code civil cherche ainsi à préserver la paix des familles. Sans remettre en cause son principe, un assouplissement de la réserve héréditaire garantirait une plus grande liberté de tester. Les comportements philanthropiques et les dons caritatifs seraient moins fortement découragés qu’aujourd’hui. L’exemple américain prouve au demeurant que la famille nucléaire égalitaire est devenue la norme au sein des sociétés occidentales, y compris, donc, dans les pays d’« estate tax » où règne la liberté testamentaire.
Vous écrivez que l’héritage a un rôle « égalisateur » qu’oublient les partisans d’un renforcement de la redistribution fiscale. Que voulez-vous dire ?
C’est contre-intuitif et surprenant mais l’héritage réduit les inégalités patrimoniales, tandis que sa taxation les accroît. La répartition des patrimoines hérités est en effet plus égalitaire que la distribution des patrimoines des héritiers avant héritage. Certes, les 20 % les plus riches par leur niveau de revenu peuvent espérer bénéficier en France d’un héritage deux fois supérieur aux 20 % les plus pauvres, mais l’héritage des 20 % les plus pauvres est, en termes relatifs, quatre fois supérieur à celui des 20 % les plus riches. Quand on confronte la théorie et la littérature économiques à la structure de notre système fiscal, on en déduit qu’il est urgent de baisser la fiscalité sur le travail. Nul ne connaît d’ailleurs les coûts économiques d’une réforme de grande envergure qui consisterait en une augmentation massive de l’impôt sur les successions.
Vous préconisez une flat tax « à l’italienne » sur les donations et les successions. Les modalités du système italien sont-elles transposables au système français ?
L’Italie a rétabli une fiscalité sur l’héritage en 2006 sous forme d’un impôt proportionnel avec trois taux (4 %, 6 % ou 8 %) différenciés selon la proximité du défunt ou du donateur avec l’héritier ou le donataire. Cette différenciation des taux est légitime, philosophiquement et économiquement : la transmission d’un patrimoine à ses enfants est réputée plus « altruiste » qu’à l’endroit d’un cousin ou d’une nièce, ce qui justifie qu’on la taxe moins. Mais là où l’Italie conjugue trois niveaux de taux et d’abattements, la France ne distingue pas moins de sept catégories de bénéficiaires, avec une combinaison d’abattements très faibles et de taux très élevés qui punit fiscalement les héritiers collatéraux ou sans lien de parenté. 50 % des recettes de l’impôt sont tirées des transmissions en ligne indirecte, alors qu’elles ne représentent que 10 % des flux. En ligne directe, la progressivité n’est qu’apparente en raison d’un grand nombre d’exonérations, et elle n’est justifiable ni financièrement (son rendement reste modeste) ni socialement (sa faible contribution aux recettes atténue sa vocation redistributive). Avec une flat tax « à l’italienne », il n’y aurait plus aucune incitation à séquencer les donations dans le seul but d’échapper aux taux les plus élevés du barème. Du fait de la concentration des patrimoines, l’impôt n’a pas besoin d’être progressif pour être redistributif.