24 décembre 2025 • Les Echos • Analyse •
La liquidation de Brandt livre un cas emblématique des contradictions françaises où l’Etat ne cesse d’accroître la pression fiscale sur les entreprises pour mieux se plaindre de leur disparition.
La décision du tribunal des activités économiques de Nanterre est tombée le 11 décembre : le groupe centenaire Brandt, dernier fabricant français de gros électroménager, est officiellement en liquidation judiciaire, scellant la disparition d’un fleuron industriel et la suppression de près de 700 emplois. Les tentatives de reprise par les salariés, notamment via un projet de coopérative (SCOP) soutenu par l’État et les collectivités, ont été rejetées. C’est une page de l’industrie française qui se tourne, et elle se tourne mal.
Brandt n’est pas un petit poucet : fondé en 1924, présent dans 36 pays et propriétaire des marques De Dietrich, Sauter ou encore Vedette, il réalisait des centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires et incarnait, pour beaucoup, une forme d’identité industrielle hexagonale. Sa liquidation est présentée comme un « choc » et un « traumatisme » pour l’industrie française, tant pour les salariés que pour les élus locaux qui y voyaient un symbole à préserver.
Et pourtant, derrière les accents larmoyants de certains leaders politiques, il y a une réalité bien moins romantique : Brandt souffrait depuis des années de difficultés structurelles face à une concurrence mondiale acharnée (notamment chinoise), à des adaptations trop lentes aux mutations du marché et à une faible capacité d’investissement. Des causes réelles, certes, mais qui ne doivent pas masquer une contradiction frappante dans le discours public.
Car pendant que Brandt agonisait, la France menait – et continue de mener – une politique fiscale qui pèse lourdement sur les acteurs économiques, et en particulier les entreprises. Taxation accrue, prélèvements multiples, complexité administrative… la pression fiscale en France compte parmi les plus élevées d’Europe. Quand une entreprise, même historique, peine à dégager les marges nécessaires pour innover, investir ou simplement respirer, il ne faut pas s’étonner si elle finit par dépérir face à des concurrents moins taxés et plus agiles.
Ce qu’il faut entendre dans l’émotion des annonces – le ministre de l’Économie parle de « « profonde tristesse », les élus de « coup dur » – c’est parfois l’aveu d’un aveuglement politique : on réclame toujours davantage de contributions aux entreprises, on s’émeut de la disparition du « Made in France » mais on refuse de tirer le fil qui relie les deux. Augmenter sans cesse la pression fiscale puis pleurer sur la liquidation d’un industriel historique, c’est faire l’équation parfaite de l’inanité politique.
Plus grave encore est l’attitude de ceux qui proposent des solutions bricolées après le fait : « il faudrait que l’État augmente sa participation », « on aurait dû sauver avec plus de soutien public ». Comme si l’on pouvait sortir d’un cercle vicieux de taxation excessive par un cercle vertueux de subventions encore plus fortes. Ce type de raisonnement nie une évidence économique basique : une entreprise ne survit pas parce qu’on lui donne de l’argent ponctuellement mais parce qu’elle a un modèle durable – ce que ni l’État, ni les taxes, ni les aides ad hoc ne peuvent garantir si l’environnement structurel reste hostile.
La liquidation de Brandt sonne donc comme une mise en garde. Ce n’est pas seulement une entreprise qui disparaît, ce sont des décennies d’une politique industrielle mal comprise. On ne défend pas l’industrie en l’asphyxiant fiscalement puis en tentant de la sauver à coups de communiqués de presse ou de petits chèques publics. On la défend en créant un environnement où elle peut investir, innover, exporter et croître.
Si la gauche française veut vraiment préserver l’industrie, elle ferait mieux d’arrêter de penser la taxe comme une solution universelle. Au lieu de cela, elle devrait réfléchir à des allègements ciblés, à une simplification du système et à une baisse durable de la pression qui étouffe les acteurs économiques. La disparition de Brandt est une tragédie sociale, mais elle peut aussi être une leçon politique majeure : pleurer sur la tombe d’un industriel alors qu’on a contribué à l’étouffer n’est pas de la compassion, c’est de l’ironie tragique.
