Mai 2013 • Note d’actualité 4 •
Le mercredi 15 mai se tiendra à Bruxelles une conférence internationale pour le soutien et le développement du Mali. L’objectif de cette conférence, co-présidée par la France et l’Union européenne, en présence du Président français, du Président de la Commission européenne et du Chef de l’État par intérim du Mali, est de mobiliser la communauté internationale en vue d’une nouvelle politique de développement qui accompagne les volets politique et militaire de la sortie de crise au Mali. Dans la foulée du coup d’État du 22 mars 2012, l’Europe et la France avaient en effet suspendu leur aide au Mali. D’ores et déjà, l’Union européenne a annoncé vouloir reprendre le versement de l’aide au Mali, à hauteur de 250 millions d’euros. La France, de son côté, soutient déjà financièrement le Mali post crise avec 143 millions d’aide projet canalisés par l’AFD et 15 millions d’appui à la gouvernance et avec 15 millions d’aide budgétaire qui devraient être annoncés à l’occasion de la conférence du 15 mai. Plus qu’une question de moyens cependant, le développement du Mali pose la question de la méthode.
Déjà des millions dépensés pour le Mali
Les ONG craignent que la France arrive les mains vides à cette conférence et qu’elle utilise le déblocage de crédits déjà engagés et gelés suite au coup d’État de mars 2012, dont les deux tiers sous forme de prêts, pour masquer une absence de fonds additionnels destinés au renouveau du Mali. Mais dégel des fonds engagés ou fonds additionnels, la vraie question n’est pas là.
La crise au Mali est d’abord un échec de l’aide internationale au développement du pays. La question est de savoir pourquoi cette aide importante (1,5 milliards de dollars par an… soit 13% de son PNB !) n’a pas pu empêcher l’augmentation de la pauvreté (l’indice de développement humain est passé du 175e rang en 2007 au 182e en 2012), le mécontentement social, les inégalités, les divisions intercommunautaires ainsi que la marginalisation des populations du nord. Toutes ces raisons ont menées à l’effondrement de l’État malien et à l’occupation de la moitié de son territoire. Ce sont des éléments auxquels il convient de s’intéresser de près si l’on souhaite trouver une réponse viable et durable au marasme dans lequel le Mali s’est embourbé et qui a été un terreau favorable à l’irruption des groupes salafistes et à la criminalisation de l’espace saharo-sahélien.
Pourtant l’aide européenne, sans même évoquer l’aide américaine pour un pays considéré comme un modèle dans la région saharo-sahélienne, n’a pas manqué avec un engagement du 10e FED de plus de 560 millions d’euros entre 2008 et 2013. Une bonne partie de cette aide a été consentie sous forme d’aide budgétaire au gouvernement pour lutter contre la pauvreté et appuyer la décentralisation. Résultat : le Mali est resté l’un des États les plus centralisés d’Afrique, la société civile est resté à l’écart au profit d’une élite locale qui profite des postes créés pour mener grand train plutôt que d’œuvrer pour le bien de son territoire et de la population. Sous-administré et miné par une corruption qui gangrène aussi les collectivités locales, l’État malien s’est montré incapable, malgré l’aide dont il a bénéficié, d’englober la question du Nord du pays dans un grand mouvement de décentralisation.
L’aide française, quant à elle, n’a pas cessé de se réduire au profit de l’aide multilatérale, laquelle passe par l’Union européenne ou les bailleurs de fonds multilatéraux. Elle est restée néanmoins conséquente avec un montant de 350 millions d’euros canalisés par l’AFD entre 2001 et 2010, y compris l’aide budgétaire et la conversion de dettes. Concentrée sur trois principaux secteurs d’intervention : le développement du secteur productif, l’eau et l’assainissement et l’éducation, l’aide-projet de l’AFD a toutefois vu son efficacité limitée par le manque de capacité des institutions bénéficiaires en tant que maîtres d’ouvrage des projets que l’agence a financés.
L’aide budgétaire n’a pas fait la démonstration de son efficacité
Comme le souligne le rapport du Sénat du 16 avril 2013 (en savoir +), le problème crucial auquel est confronté l’aide internationale est la capacité institutionnelle ou humaine des partenaires maliens, et plus globalement sahéliens, à absorber l’aide internationale. Or dans la situation d’un État à reconstruire, l’aide budgétaire, pratiquée tant par l’Union Européenne que par la France, et qui peut apparaitre à beaucoup comme déresponsabilisant l’État bénéficiaire, risque de nourrir une absence de vision stratégique, des retards considérables et, à nouveau, d’entraîner une mise à l’écart du secteur privé ainsi qu’une forte évaporation des crédits.
L’aide internationale au Mali semble avoir été jusque là principalement une forme d’assistance sociale : on a favorisé le développement social souvent au détriment des investissements dans la croissance économique. Or les investissements dans les infrastructures (énergie, transport, etc.), qui permettent de faire sauter certains verrous de la croissance, s’avèrent plus efficaces pour atteindre les objectifs d’accès à la santé et à l’éducation qu’un surinvestissement dans des systèmes éducatifs et sanitaires condamnés à dépendre de l’aide internationale tant que la croissance économique ne lui fournira pas les recettes budgétaires pour les prendre en charge.
Et pourtant on va recommencer, si on en juge d’après ce qui a été annoncé… Une large concertation a été lancée à cet effet, et à juste titre, avec les diasporas maliennes, les ONG (deux cent ONG et associations françaises étaient actives sur le territoire malien, dont plus de la moitié dans les trois dernières années), les collectivités territoriales françaises qui fournissent, dans le cadre de la coopération décentralisée, un substantiel effort de développement au bénéfice du Mali… bref avec tout le monde sauf avec les entreprises françaises.
S’appuyer davantage sur le secteur privé
Certes, le Quai d’Orsay a déclaré vouloir s’ouvrir davantage aux entreprises et développer un dialogue régulier avec les partenaires économiques, par le biais de la Direction Générale de la Mondialisation, mise sur pied à l’image des départements de la « globalisation » anglo-saxons. Mais sur le fond, les pouvoirs publics français ne semblent pas pour autant convaincus que les entreprises soient de bons interlocuteurs en matière de développement comme le sont les ONG, et qu’elles sont capables d’anticipation et de vision pour appuyer le secteur privé malien à devenir un véritable moteur de développement ainsi que la principale source de croissance économique et de création de richesses et d’emplois.
Pourtant les méthodes du travail du secteur privé seraient utiles aux bailleurs, en particulier à l’AFD pour l’aider à passer d’une logique de l’offre à une logique de résultat. C’est une tâche qui n’est pas simple, qui suppose un important travail méthodologique, mais qui est essentielle si on veut pouvoir évaluer cette politique. De ce point de vue, il faut garder à l’esprit que 20% seulement des projets de l’AFD sont évalués à l’achèvement. Comme l’avoue le ministre Pascal Canfin, « Nous ne savons pas vraiment quel est l’impact de notre aide… » ! L’apport et l’expertise du secteur privé serait également bénéfiques pour réorienter l’aide vers une relance de l’économie, l’instauration d’un climat d’affaires favorable, l’appui au secteur privé avec une forte composante agriculture et un appui aux transferts des diasporas, en vue de favoriser la création d’emplois et à l’investissement.
Cette mise à plat des raisons de l’échec du développement au Mali est en tout cas une occasion historique d’offrir au pays un partenariat public/privé français pour le développement, libéré des postures et des emprises traditionnelles et conduit par des partenaires à la recherche d’un intérêt commun et de bénéfices partagés pour bâtir une économie dynamique avec un secteur privé fort et capable d’offrir des perspectives d’emploi durable au Mali. Ces nouveaux modes de collaboration entre développeurs et entrepreneurs ne visent surtout pas à brouiller leurs rôles et objectifs respectifs, mais à exploiter les synergies entre acteurs du public et du privé au service du développement.
Refonder l’État malien
Il ne pourra toutefois y avoir de réel développement durable sans renforcement de l’État et des institutions maliennes. Dans cette perspective, la reconstruction des forces de sécurité est un pré-requis indispensable dont le succès conditionne les avancées dans les autres domaines. Les défis sont énormes et ne se limitent pas à la seule dimension matérielle. La formation doit être reprise de zéro, comme l’affirmait lui-même le général Lecointre, commandant de la mission EUTM-Mali. Mais il en est de même des processus de sélection. À cet égard, l’intégration d’ex-rebelles, comme réalisée dans les années 1990, constitue un anti-modèle, aussi bien pour son impact sur l’efficacité des forces armées que ses répercussions auprès des autres soldats maliens. Les recrutements ne peuvent que se faire sur la base de la compétence par la voie de concours et la mixité ethnique.
Cette intégration rejoint la formation d’un État malien et de son modèle, auquel devra s’attacher le futur gouvernement malien mais aussi les élites locales et la Commission dialogue et réconciliation, créée pour deux ans et regroupant 33 membres. On peut d’ailleurs d’ores et déjà identifier l’écueil consistant à proposer un statut différent pour une ou plusieurs régions du Nord. D’une part, le « problème touareg » – et de manière plus générale l’intégration des populations du Nord dans l’État malien – ne pourra pas trouver de solution sans réelle proposition. D’autre part, la population du Sud n’acceptera jamais un système de deux poids et deux mesures privilégiant le Nord. Mais plus que l’autonomie, c’est le modèle de l’État malien, et à travers lui la décentralisation et les modalités de sa présence et de son organisation dans les régions du Nord, qui devra être au cœur des discussions sur l’avenir du Mali. À cet égard, la notion de « service public » est essentielle tout comme, dans un pays aux ressources contraintes, la polyvalence des hommes, des équipements et des fonctions. Le lien avec l’État et ses représentants se construit en effet dans la proximité et le sentiment que des réponses aux problèmes peuvent être apportées.
De tels changements prendront du temps. La volonté des parties de promouvoir une véritable réconciliation n’est pas totalement avérée, comme le notait le rapport du Sénat cité plus haut. De plus, ils imposeront de dépasser les intérêts et les logiques de captation d’une partie des acteurs nationaux ou locaux. Il faudra faire accepter une remise en cause des pouvoirs et de l’influence acquis durant le régime précédent. Cependant, dans ces débats à venir, la France et la communauté internationale auront un rôle essentiel pour accompagner les autorités maliennes, mais aussi contribuer à recréer de la confiance entre ses membres. Un exemple existe d’ailleurs dans l’histoire malienne avec le Pacte national de 1992, qui a soulevé beaucoup d’espoirs, même si dans le domaine de l’intégration des groupes armés il a montré ses limites, et qu’aujourd’hui les populations de la région de Kidal ne sont pas prêtes à recevoir sans surveillance internationale des soldats maliens.
Dans ce contexte, organiser des élections en juillet risque d’exacerber les divisions et tensions, d’autant que les conditions matérielles de leurs tenues dans les meilleures conditions ne seront très probablement pas réunies. Cependant, à l’inverse, un enlisement du processus politique serait un signal négatif très fort à l’adresse des Maliens sur la volonté de la France et de la communauté internationale d’améliorer la gouvernance. Découpler élections présidentielles et législatives en organisant seulement les premières en juillet permettrait de concilier avec pragmatisme l’engagement international et les contraintes matérielles, pour permettre à la fois d’avancer sur le processus de refondation de l’État malien et préserver la crédibilité de la France et de la communauté internationale. En effet, alors que ces derniers ont réaffirmé à plusieurs reprises leur volonté d’organiser les élections fin juillet, la crédibilité est essentielle pour peser sur la réconciliation et le renforcement de la bonne gouvernance, au risque de voir le discrédit des élites locales pousser une jeunesse désœuvrée vers le wahhabisme et son idéal égalitaire et révolutionnaire.