L’emploi ne se décrète pas

Gérard Dussillol, président du pôle Finances publiques de l’Institut Thomas More et auteur de La crise, enfin ! (éd. Xenia, 2012)

6 mars 2014 • Opinion •


Encore manqué ! En janvier, le chômage ne baisse toujours pas. Les Français font penser à cette pauvre sœur Anne qui guette inlassablement l’horizon, sans jamais rien voir venir… en l’espèce cette baisse tant attendue et tant promise du chômage, fléau de la société française. Pourtant, ils ne devraient pas s’attendre à grand-chose tant ce qui a été mis en place depuis de nombreuses années est préjudiciable à l’emploi : ça ne date pas d’hier, mais depuis deux ans, on bat des records  !

Compte tenu du progrès technologique et du facteur démographique, nous savons que si nous n’avons pas au moins 1,5 % de croissance annuelle (et nous en sommes loin), le chômage ne peut qu’augmenter. Le combat contre le chômage ne peut donc se gagner que par la croissance. Refusant par idéologie ou par aveuglement de l’admettre, l’exécutif et la majorité ont choisi des solutions qui ont au contraire détruit de la croissance et augmenté le chômage. De quelle manière ?

La croissance d’un pays résulte de quatre « moteurs »  : dépense publique, consommation privée, investissement privé, exportations nettes. Or les deux premiers, moteurs traditionnels de notre économie, sont à la peine : les déficits accumulés depuis trente-cinq ans nous interdisent de recourir à une augmentation de la dépense publique. Et, ayant massivement augmenté les impôts, la consommation privée plonge. La croissance ne peut donc plus s’appuyer sur l’État ou les ménages. Restent les entreprises, univers totalement étranger à nos dirigeants.

La dégradation de notre solde commercial, quasi continue depuis 1998, nous a fait perdre 20 % de croissance annuelle moyenne.

Ce déclin traduit la baisse de compétitivité de notre économie, elle-même due à un excès de prélèvements obligatoires : à production égale, les entreprises françaises payent 6 points de PIB en plus que leurs concurrentes allemandes, soit chaque année 125 milliards ! Il leur reste alors beaucoup moins d’argent pour investir dans de nouvelles usines, de nouveaux produits, de nouveaux marchés… et être capables de faire face à la concurrence étrangère. Notre baisse de compétitivité est d’origine fiscale et réglementaire. Mais par-delà les discours (choc de compétitivité, de simplification, pacte de responsabilité), la majorité continue à alourdir droit du travail, réglementations et charges sur des entreprises déjà très peu compétitives. Notre croissance ne peut donc venir d’une amélioration structurelle de notre solde courant.

Reste l’investissement privé, qui apparaît comme la clé de voûte de toute politique de redressement, par ses effets à court terme sur la croissance et à moyen terme sur l’amélioration de la compétitivité, donc des exportations. Or l’investissement dépend de deux choses, la capacité de l’économie à le financer et la vision que les décideurs se font de l’avenir. Ici encore, les deux dernières années ont aggravé la situation créée par la crise, où les sources de financement s’étaient raréfiées (recours à l’endettement plus difficile et autofinancement en baisse), en pénalisant l’investissement en capital, avec une fiscalité de l’épargne et du patrimoine incohérente et punitive pour la prise de risques : hyper-taxation de l’épargne à risque couplée avec la niche fiscale de l’épargne sans risque que constitue le livret A.

Reste le facteur psychologique, si essentiel. Dans un climat économique déjà très fluctuant, on a accentué les incertitudes, dégradant la visibilité et obérant la confiance en l’avenir. Quand on se défie à ce point des entrepreneurs et des investisseurs, il est délicat de leur demander en retour de vous faire confiance.

L’emploi est le fruit d’une politique cohérente, incitative, créatrice de croissance et de confiance. Le gouvernement en est encore loin. Sœur Anne peut-elle encore attendre longtemps ?