9 juillet 2014 • Opinon •
Alors que la réforme territoriale, voulue par François Hollande, est en discussion à l’Assemblée nationale jusqu’au 23 juillet, on peut se demander si la démarche retenue n’augure pas d’un enterrement en grande pompe de toute velléité réformatrice !
La réforme territoriale a la particularité de toucher à tout : de l’architecture des pouvoirs publics jusqu’au quotidien des Français, du pari de la décentralisation jusqu’aux services de proximité. Aussi est-elle lourde (à concevoir et à mettre en œuvre), coûteuse, dérangeante et, quand on y touche, c’est fait pour longtemps. Mais, comme la seule option qui est interdite – vu l’état des finances publiques… – est celle du statu quo, il est impératif que la réforme procure des avantages considérables. Alors, « allons doucement, nous sommes pressés » !
La précipitation n’est pas bonne conseillère. François Hollande a choisi le moment d’une grande émotion post-électorale pour annoncer le « big bang » territorial que les Français attendent depuis 45 ans. Mais l’occasion d’une vraie réforme a été aussitôt gâchée par le seul fait de donner la solution (12 régions, puis 14, maintenant 13 et plus de départements en 2020), sans débat ni réflexion préalables, si ce n’est quelque querelle au sein d’un quarteron de présidents inquiets.
Pourquoi 13 régions ? Pourquoi pas 8, ou 40 ? Pourquoi celles-ci ? On ne sait. Pourquoi cadenasser la carte départementale dont on annonce simultanément la disparition programmée ? On ne sait. De deux choses l’une : ou bien des critères existent mais on ne veut pas les dire – seraient-ils inavouables ? Ou bien ils n’existent pas, et c’est le plus vraisemblable, vu la précipitation avec laquelle on a donné une réponse, en oubliant de poser posé une question importante : que veut-on faire ?
Mais d’où sortent ces espaces improbables ? Y a-t-il un seul domaine de l’action publique pour lequel il était impérieux de mettre Moulins et Nyons dans la même région ? Si les parlementaires veulent jouer à plein leur rôle, ils ont le devoir de demander au gouvernement ce que l’on y gagne en efficacité et en coût de l’administration locale. Car est-ce ainsi que l’on espère « décentraliser pour l’emploi », selon le titre d’un excellent livre de Xavier Greffe déjà vieux de 25 ans ? La géographie sert peut-être « d’abord à faire la guerre », comme dirait cette fois Yves Lacoste, mais aussi la guerre aux structures inadaptées qui, en la méconnaissant, frustrent les citoyens, ruinent les contribuables et gênent l’action publique.
A l’origine, le tracé des départements répondait aux impératifs d’un État centralisé. Deux siècles plus tard, le besoin de proximité, les atouts d’une décentralisation maîtrisée, les bouleversements de l’urbanisation et de la géographie des activités, tout cela exige une cartographie nouvelle et le choix d’une « bonne » échelle d’administration intermédiaire (40 régions ou aires métropolitaines ?), entre les niveaux local (10 000 communes ou groupements ?) et national. L’éclairage fourni par les modèles de référence (territoires homogènes, espaces polarisés, réseaux) va aussi dans ce sens.
La bonne échelle pour la bonne compétence, avec les bonnes « règles du jeu », l’objectif est clair pour une réforme authentique qui prendrait en charge les « cinq plaies » dont souffre l’organisation territoriale française : tracés artificiels ou archaïques, compétences enchevêtrées, préférence pour les financements croisés, caractère très « littéraire » des évaluations de projets, gestion « impressionniste » des subventions. Ensemble, ces cinq réalités ont tricoté une structure auto-organisatrice contre laquelle toutes les velléités réformatrices se sont fracassées, même les plus sincères. La dernière en date n’échappera pas à ce sort, car elle reste à la surface des choses.
Au lendemain des derniers scrutins, l’exécutif avait pourtant une opportunité exceptionnelle pour une réforme de fond : répondre à l’impatience inquiète des Français, capter leur enthousiasme pour une vraie nouveauté, faire des économies par l’efficacité du système et non à coups de rabot. Cela aurait évité de réveiller les habituelles coalitions d’intérêts hostiles à toute réforme. Si François Hollande ne voulait pas s’engager dans cette voie, le Président de la République, lui, devait le faire.
Les parlementaires se trouvent ainsi confrontés à un programme inédit : adopter la phase 1 d’une réforme (nombre et tracé des régions, et ainsi justifier l’urgentissime report des prochaines élections), en sachant qu’elle verrouillera la phase 2 (schéma des compétences contraint par la nouvelle carte régionale). Après quoi, la phase 3 (disparition des départements) sera abandonnée en expliquant, d’un ton navré, que, entre les régions devenues trop grandes et les communes restées trop petites, le niveau intermédiaire demeure nécessaire. En réalisant la prouesse de traiter la géographie administrative séparément du partage des compétences, la « réforme » territoriale aura été enterrée sous les apparences d’un grand chambardement. Du grand art !