12 novembre 2013 • Opinion •
Malgré l’annonce d’un accord imminent, le deuxième round des négociations de Genève entre les Six et Téhéran n’a pu aboutir. Divers commentaires font porter la responsabilité de l’échec sur l’intransigeance de Paris. Haro sur la diplomatie française ? Le retour aux faits s’impose. Depuis la révélation du programme nucléaire clandestin, en 2002, il est avéré que Téhéran viole les obligations contractées dans le cadre du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) accumulant les rapports au fil des ans.
En 2003, le trio Paris-Londres-Berlin obtenait la suspension du processus d’enrichissement de l’uranium (une étape essentielle pour accéder au nucléaire militaire), Téhéran redoutant alors une possible action de force des troupes américaines déployées en Irak. Pourtant, la pause fut de courte durée.
Alors chargé des négociations, Hassan Rohani présenta cette suspension provisoire comme une manœuvre tactique. Aujourd’hui président, il affirme le droit de l’Iran à enrichir de l’uranium sur son territoire, droit de nouveau proclamé devant le Parlement iranien, le 10 novembre, après l’échec des négociations.
La diplomatie s’est donc révélée impuissante
Si l’on prend pour point de départ la négociation amorcée par l’Union européenne, la diplomatie s’est donc révélée impuissante à contenir l’Iran. Selon les données de l’AIEA, quelque 19 000 centrifugeuses enrichissent de l’uranium, les engins les plus modernes ayant été installés sur le site de Natanz, au début de l’année. Téhéran dispose de plus de 6 000 kg d’uranium enrichi à 3,5 % et de 186 kg enrichis à 20 %, ces quantités étant susceptibles d’une utilisation à des fins militaires.
Ceux-là mêmes qui niaient la gravité de la situation reconnaissent désormais que le franchissement du seuil militaire est une question de mois, sur un strict plan technique et si la décision politique était prise. Ils en tirent argument pour hâter la signature d’un accord partiel et limité, avant que la fenêtre d’opportunité ne se referme.
A cela, il faut ajouter des installations nucléaires profondément enfouies sous une montagne (à Fordo), de possibles tests d’explosion applicables au nucléaire réalisés sur la base militaire de Parchin, un effort résolu dans le domaine des missiles balistiques et le développement d’une filière de plutonium. Pour mémoire, le réacteur d’Arak serait en fonction d’ici à l’été 2014.
A l’évidence, les tactiques dilatoires iraniennes et la réticence américaine à l’emploi de la force ont permis au régime chiite-islamique de progresser vers l’objectif : la transformation de l’Iran en un « Etat du seuil ». L’expression désigne un pays disposant des capacités requises pour franchir l’étape décisive, lorsque le pouvoir le jugera politiquement opportun. La seule perspective est déjà productrice d’effets et le sentiment qu’un point de non-retour est dépassé entraîne une certaine compréhension vis-à-vis de Téhéran.
Le régime a besoin d’oxygène
Pourtant, les sanctions internationales portent leurs fruits et la situation économique explique la volonté iranienne de conclure un accord partiel : le régime a besoin d’oxygène, ce qui passe par l’assouplissement des sanctions, et d’un peu de temps. A contrario, leurs interlocuteurs ne sauraient se satisfaire d’un texte hâtivement négocié, au prétexte d’un hypothétique accord historique.
On ne reprochera donc pas à la diplomatie française le rappel des propositions formulées lors de la réunion d’Almaty (Kazakhstan), le 26 février : le gel de l’enrichissement à des niveaux proches de la militarisation et le transfert des stocks existants à l’étranger, la limitation du nombre des centrifugeuses et le renforcement du régime d’inspection des installations nucléaires (ouverture de tous les sites et inspections inopinées de l’AIEA). L’étape suivante concernerait les perspectives à moyen et long terme de l’enrichissement.
L’offre d’Almaty est déjà en retrait par rapport aux positions initiales de la communauté internationale, mais il semble que Téhéran ait interprété cette incitation à négocier comme une manifestation de faiblesse. Il est vrai que les palinodies de l’administration Obama autour de la Syrie ont aussi joué en ce sens. Dès lors, poser en axiome la transformation de l’Iran en un « Etat du seuil » serait le point de départ d’un grand renoncement, dûment perçu comme tel à Téhéran.
La reconnaissance de l’Iran comme puissance nucléaire régionale de plein droit est parfois présentée avec légèreté, mais le Moyen-Orient est en effervescence et la montée en puissance de l’Iran pourrait amplifier la turbulence des contraires. Si, pour privilégier le fond, la diplomatie française a contribué à repousser les échéances, c’est tout à son honneur.