10 avril 2019 • Opinion •
Pour Sébastien Laye, la théorie du ruissellement ne résiste pas au réel. En France, l’argent des riches profite encore moins qu’ailleurs aux pauvres. La faute, notamment, à la réserve héréditaire.
A mots couverts au cours des dernières années, le pouvoir actuel a tenté de réhabiliter la douteuse – car ne reposant sur aucun travail conceptuel sérieux d’économistes – théorie du ruissellement, selon laquelle les riches devaient devenir plus riches pour que les pauvres soient moins pauvres.
Or, si un regain de croissance profite en effet à tous, souvent en premier lieu aux entrepreneurs et aux plus aisés, puis plus tardivement aux plus modestes, le mythe de la redistribution naturelle du haut vers le bas ou « trickle down » est un artifice conceptuel aux effets désastreux. Il relève d’une pure conception imaginaire qui fait fi du défi des inégalités et de l’accaparement de richesses par certains (un capitalisme de connivence que l’on retrouve en France), y compris dans des pays dont la croissance stagne.
La formule cruelle de « l’ascenseur social en panne », elle étayée par les études et les chiffres, est la négation de celle du ruissellement. Les disparités de patrimoine sont telles aujourd’hui dans nos sociétés occidentales que nous devrions nous poser la question de la redistribution inter-générationnelle des fortunes, et celle de l’équité au sens où Rawls l’entendait, à savoir l’équité dans les conditions de départ entre individus. Or, paradoxalement, une conception très bourgeoise de la fortune acquise est entretenue par nos pouvoirs publics ; ainsi, à l’inverse des pays anglo-saxons dont les grandes fortunes ont ensuite essaimé en fondations, instituts de recherches ou œuvres philanthropiques, les riches français ne sont pas autorisés à donner tout leur patrimoine à de telles institutions. Via la réserve héréditaire, notre gouvernement oblige la répartition automatique d’une part du patrimoine du défunt à sa famille, nonobstant ses volontés personnelles. En favorisant la transmission linéaire et obligatoire au sein d’une même famille, la loi cautionne une société de rentiers et de reproduction sociale, alors même que les nouvelles fortunes de la technologie et de la finance n’ont pas la même conception dynastique de la richesse que leurs aînés.
En supprimant la réserve héréditaire, nous encouragerions la redistribution des cartes, la circulation du capital et le développement de la philanthropie, alors que l’Etat se retire de certaines fonctions sociales qu’il ne peut plus assumer. Nous pourrions par ailleurs aller plus loin et préparer cette nouvelle redistribution – plus efficace que l’assistanat actuel qui est le mal endémique de notre Etat providence – par le truchement d’une réforme de l’impôt sur le revenu. En effet, avec la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), nous avons perdu un mécanisme fiscal d’abattement qui finançait une grande partie du secteur caritatif et associatif, mais aussi technologique (start up). Si la réforme de l’ISF avait été bien conçue, cet abattement aurait pu être alloué à l’impôt sur le revenu : ainsi, en Angleterre, il existe le mécanisme de l’EIS qui permet de déduire de l’assiette de l’impôt sur le revenu jusqu’à 30% de tels investissements dans une limite d’un million de livres. Drainer l’épargne vers les entreprises et les œuvres sociales ne pourra se concevoir sans une réforme de l’impôt sur le revenu.
C’est au politique et à notre droit qu’il revient d’encourager la redistribution sociale intergénérationnelle. Faire le pari d’une hypothétique théorie du ruissellement serait non seulement hasardeux, mais porteur en germe de frustrations et in fine de contestations sociales de grande ampleur comme celle que nous venons de traverser.