Juin 2019 • Note 35 •
L’idée d’« armée européenne » d’Emmanuel Macron, présentée comme un grand projet européen, est en fait à la fois une vue de l’esprit et un rétrécissement de l’ambition de la France. Une vue de l’esprit car l’Europe comme acteur géopolitique n’existe pas et qu’il est plus réaliste de travailler à renforcer les coopérations entre les nations européennes, sur une base clairement confédérale. Et un rétrécissement de l’ambition car la France, qui possède le deuxième domaine maritime mondial, doit demeurer une puissance à vocation mondiale, capable de faire face aux périls géopolitiques qui viennent et de se projeter partout où ses intérêts le réclament. Il y aurait un grand danger à se retrancher derrière les « anciens parapets » de l’Europe dans une vision géopolitique racornie et centrée sur la seule défense du territoire européen. Pour « la plus grande France », pour « la France du grand large », l’Europe ne suffit pas…
« L’Europe qui protège » : le président français, Emmanuel Macron, a posé comme priorité de son action, à l’échelon continental, la constitution d’une « armée européenne » vouée à la défense de l’Union et de ses États membres. Au premier abord, l’intention peut paraître louable. Après s’être rétractée sur son aire géo-historique, l’« Europe sans rivages » des siècles passés est mise en péril par la convergence de plusieurs lignes dramaturgiques. A l’Est, le révisionnisme géopolitique russe remet en cause les frontières reconnues internationalement à la fin de la Guerre Froide, lorsque le bloc soviétique puis l’URSS se disloquèrent. Au Sud et à l’Est de la Méditerranée, menaces non-étatiques (de type terroriste) et dynamiques de fond (démographiques, socioculturelles, idéologiques et religieuses) bousculent les frontières de l’Europe. A l’arrière-plan, le régime irano-chiite dont l’expansionnisme se déploie depuis le golfe Arabo-Persique jusqu’à la Méditerranée. Enfin, la République populaire de Chine, virtuellement à la tête d’une Grande Eurasie sino-russe, ne saurait être plus longtemps ignorée sur le plan militaire. Assurément, l’enjeu de la défense de l’Europe et, sur d’autres ordres de grandeur, celui du devenir historique de l’Occident s’imposent aux stratèges et géopolitologues.
Pour autant, parler d’une « armée européenne », même au futur, constitue un abus de langage. Principal partenaire de la France au sein de l’Union européenne, l’Allemagne ne souscrit pas à un tel objectif, nul autre État membre ne voulant ou ne pouvant pallier l’abstentionnisme de Berlin. Cela devrait suffire à démontrer la vacuité d’un tel projet. D’autre part, se focaliser sur l’« armée européenne » fragiliserait l’étroite coopération militaire que la France entretient avec les États-Unis et le Royaume-Uni, ces deux alliés s’inscrivant dans une perspective occidentale, plus ample que celle du continent européen. Enfin, l’avènement de ladite armée signifierait le rétrécissement des ambitions géopolitiques. Berceau d’une civilisation universelle, l’Europe serait provincialisée et réduite à une simple logique d’autoconservation. Alors que les équilibres de richesse et de puissance se déplacent vers l’Asie, il importe en effet de ne pas se laisser enfermer dans un continent en voie de déclassement. L’Europe ne suffit pas.
Puissance à vocation mondiale, la « plus grande France » doit se porter à l’avant-pointe d’une Europe sans rivages. En lieu et place d’une Union plus intégrée, un tel projet politique commande le choix d’un modèle confédéral, fondé sur la synergie entre alliés et partenaires des instances euro-atlantiques (UE et OTAN). Au vrai, ce type d’unité politique semble le plus adéquat à la situation historique et le plus fidèle au génie propre de l’Occident.