11 mai 2012 • Analyse •
Alors que le Mali s’enfonce dans une crise dont il est difficile de voir le bout, le Niger apparaît relativement épargné. Mais dans une région sous haute tension, avec une montée de la violence dans le nord du Nigeria et au Soudan, une Libye dont le pouvoir central semble incapable de faire respecter son autorité sur les marges sud, ou encore une situation de crise alimentaire, l’avenir de ce pays apparaît incertain. À bien des égards en effet, le voisin oriental du Mali est dans l’œil du cyclone, accroissant l’importance des réformes engagées pour renforcer la stabilité et la cohésion d’un État fragilisé par la situation régionale.
Relative stabilité dans le Nord
Malgré l’effondrement du voisin malien et, alors que traditionnellement les rébellions au Nord-Mali s’accompagnent de répliques chez le voisin oriental, pour l’instant la situation paraît relativement calme au Nord-Niger. Non seulement les Touaregs, contrairement à leurs « frères » du Mali, n’ont pas pris les armes contre les autorités mais, dans un communiqué rendu public le 6 avril, leurs responsables ont rejeté « totalement et de façon énergique » la déclaration d’indépendance de l’Azawad : « Nous disons non à cette dérive et nous lançons un appel à nos frères du Mali à garder la sérénité, se ressaisir et trouver une solution dans le cadre d’un État unitaire du Mali », était-il ainsi affirmé dans le communiqué signé Rissa Ag Bhoula, conseiller du président de l’Assemblée nationale Hama Amadou.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce positionnement des Touaregs nigériens. D’abord, la dernière rébellion de 2007-2009 n’avait pas pour objectif l’indépendance ou l’autonomie mais un partage des bénéfices de l’uranium plus favorable, des emplois pour les populations locales ainsi qu’une meilleure prise en compte des répercussions environnementales des industries d’extraction. Ensuite, après l’adoption en 1996 d’une loi de décentralisation dont le processus a commencé après l’élection de Mamadou Tandja à la présidence (décembre 1999-février 2010), les derniers programmes de développement ont privilégié les régions du nord. Et bien que des efforts restent à faire, le nombre de médecins et d’infirmiers par habitant par exemple, en 2009, était supérieur dans la région d’Agadez à la moyenne nationale. Plus récemment, la présidence a défendu un programme destiné aux zones pastorales, approfondi à travers un programme « sécurité et développement » doté de 1,5 milliards d’euros.
Surtout, du point de vue de l’intégration des populations, le Niger présente un tout autre visage que le Mali. Après l’élection de Mahamadou Issoufou, qui a succédé à Mamadou Tandja, plusieurs chefs touaregs ont rejoint les structures de l’État, dont Rissa Ag Bhoula n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le 7 avril 2011, Brigi Rafini, un Touareg originaire de la région d’Agadez, est ainsi nommé premier ministre. Le numéro deux de l’armée, le général Ahmed Mohamed, est lui aussi Touareg, tout comme le conseiller du chef de l’État Mohamed Alambo, également fondateur du Mouvement nigérien pour la justice (MNJ) à l’origine de la révolte de 2007. Mohamed Akotey, le neveu de Mano Dayak, un ancien chef rebelle, est le nouveau le président du Conseil d’administration d’Imouraren, la plus grande société minière du pays. Quant au président du Conseil régional de la région d’Agadez, élu en 2011 lors des premières élections régionales du pays, il s’agit d’un ancien chef rebelle.
Fragilité des équilibres
S’il peut sembler prématuré d’envisager une trajectoire nigérienne comparable à celle du Mali, les équilibres sont cependant fragiles. Les hommes, les armes, les idées, circulent, et peuvent entrer en résonnance avec des facteurs de tensions déjà existants. Dans les régions du Nord, l’économie a été fortement touchée par l’arrêt d’un tourisme dont beaucoup était attendu pour le développement des services et de l’artisanat, et plusieurs milliers de combattants de la dernière rébellion (2007-2009) n’ont toujours pas déposé les armes. Plus inquiétant, les dizaines de milliers de déplacés maliens s’ajoutent aux 260 000 Nigériens, essentiellement des travailleurs temporaires, chassés par la crise libyenne ainsi qu’aux 20 000 Nigériens rentrés au moment de la crise ivoirienne, dont le retour s’est accompagné d’un arrêt des transferts d’argents pour leur famille.
Face à ces risques et menaces, la présidence nigérienne est engagée dans des réformes, mais leur mise en place contraste avec le sentiment d’urgence devant la situation régionale.
Certes, les quelques 25 000 hommes des forces de sécurité nigériennes sont engagés dans un programme de modernisation et bénéficient de l’assistance internationale. Mi-avril, Paris a ainsi annoncé que des hélicoptères de type Gazelle équipés de canon et ayant précédemment servi dans l’Aviation légère de l’armée de Terre française seraient livrées à Niamey, auxquels s’ajoutent la coopération de sécurité intérieure (1 millions d’euros en 2011) et militaire (3,2 millions avec la mise à disposition de 13 coopérants). De son côté, l’Union européenne finance des actions destinées à renforcer les structures judiciaires et les unités de la police et de la garde nationale. Cependant, ces forces sont encore dans une phase de montée en puissance et, comme le rappelait en décembre dernier le gouverneur de la région d’Agadez, seules un quart des armes entrées de Libye auraient été récupérées par les autorités.
Ensuite, la réforme des structures régionales est encore au milieu du gué. Si elle a permis de réaménager l’espace administratif nigérien et a confirmé le rôle des communes comme acteur local, la cohérence de l’action entre les différents acteurs locaux et nationaux ainsi que les transferts de compétences et de ressources demeurent en effet insuffisants. Les Assemblées régionales élues en 2011 ont ainsi pâti d’une absence de formation des élus, d’une absence de personnels, et de moyens matériels et financiers insuffisants, faisant évidemment écho à la faiblesse de l’administration dans des pays comme le Niger, mais aussi contrastant avec les attentes devant la décentralisation et la déconcentration.
Renforcer le contrat politique interne
La stratégie adoptée en octobre 2011 pour six des huit régions du pays par le gouvernement nigérien identifie cinq champs d’intervention : la sécurité des biens et des personnes, la création d’opportunités économiques pour les populations, l’amélioration de l’accès aux services de base, le renforcement de la gouvernance locale et l’intégration des réfugiés et déplacés.
Derrière la dialectique développement/sécurité qui sous-tend cette approche, l’enjeu est le renforcement des capacités de l’État mais aussi du contrat politique unissant la capitale et les périphéries. Or dans cette perspective, la décentralisation, fruit d’un compromis entre les anciens rebelles et les autorités centrales, occupe une place centrale, à la fois comme instrument permettant de répondre aux attentes des populations et de renforcer l’administration, mais aussi car sa réussite renvoie à la crédibilité de la parole de l’État et donc à la consolidation de la paix avec les anciens rebelles. À cet égard d’ailleurs, la comparaison avec le Mali est intéressante. Pour le député malien de Bourem lors de la concertation sur les crises du Sahel, organisée par le Parti pour la renaissance nationale (PARENA) le 18 décembre 2011, l’accompagnement insuffisant de la décentralisation aurait renforcé la corruption et les irrégularités dans le Nord Mali, accentuant le ressentiment des populations et le sentiment que le gouvernement ne respectait pas ses engagements. Il aurait contribué à nourrir les dynamiques conflictuelles et à saper la crédibilité des autorités dans leurs discussions avec les chefs locaux, ce qui semble être aujourd’hui l’un des principaux atouts du Niger.