20 avril 2014 • Opinion •
Manuel Valls a annoncé le 8 avril un objectif de 10 milliards d’euros d’économie en trois ans des dépenses publiques de santé. Un tel plan d’économie est possible à réaliser à condition de changer de politique de santé et de réformer structurellement notre système de santé.
Notre système de santé est le plus coûteux au monde après celui des États-Unis pour des résultats sanitaires dans la moyenne des autres pays européens. La France dépense 50 milliards d’euros de plus que la moyenne des pays de l’OCDE et l’assurance maladie est la branche malade de la sécurité sociale avec un déficit récurrent depuis 1988.
L’organisation hospitalo-centrée de notre système de soins, la forte incidence des maladies chroniques et la sur administration du système sont les trois raisons majeures de surcoûts du système. Dans sa culture et ses structures de soins, la France privilégie l’hôpital alors que ce dernier doit devenir l’accident du parcours de soins et non son centre de gravité. On consomme, toutes choses égales par ailleurs, 15 milliards d’euros de plus de soins hospitaliers avec 100.000 lits de plus que la moyenne des autres pays de l’OCDE. Notre système de santé intègre 1,3 million de nouveaux patients chroniques chaque année dans un système de remboursement à 100% qui en compte déjà près de 10 millions. Notre modèle est uniquement pensé pour gérer ce flux et non le limiter, ce qui n’est plus soutenable financièrement. Nos coûts d’administration du système sont les plus élevés d’Europe et traduisent un État omnipotent dans la gestion quotidienne et absent dans l’orientation stratégique.
Les solutions pour réduire la base de coûts de notre système de santé tout en le rendant plus efficace sont liées aux trois sources de surcoût précédemment évoquées. Elles reviennent à changer le logiciel de notre système de santé, ce qu’aucun politique ne s’est risqué à faire ces dernières années tant la santé est jugée à haut risque politique. Il est nécessaire de réduire notre surface hospitalière et d’organiser les parcours de soins à partir de la ville pour les actifs et du domicile pour les personnes âgées. Il faut investir en amont du risque santé pour freiner le flux des nouveaux patients chroniques.
C’est le transfert de capacités vers l’individu pour lui permettre de mieux gérer son risque santé en développant notamment l’éducation santé pour les bien-portants et les malades, les matériels innovants d’auto-évaluation, la santé au travail et dans les écoles. Cela nécessite aussi de fixer des objectifs sanitaires dans les politiques influençant les déterminants de santé (éducation, environnement, habitat, sport, agriculture, urbanisme). La mise en œuvre des stratégies de promotion de la santé exige l’action concertée de tous les décideurs politiques. C’est enfin en redéfinissant le rôle de l’État, qui doit être avant tout stratège et régulateur plutôt qu’acteur de la mise en place opérationnelle de la politique de santé. Rien de tout cela n’a été évoqué dans le discours de politique générale du Premier ministre qui a dit que pour la santé « nous verrons plus tard ».
L’effet d’annonce de ce plan d’économies, sans fixer de cap, est en fait très anxiogène pour le secteur et pose la question de sa crédibilité. Si le Premier ministre entend faire une réduction budgétaire de cette ampleur à coup de rabot comme cela est pratiqué depuis une dizaine d’années, il risque de se confronter à une crise sociale sérieuse. S’il compte poursuivre la politique menée par la ministre des Affaires sociales et de la Santé, dont la prolongation de ses fonctions dans des conditions inchangées ne peut que la conforter dans sa ligne et son mode de gouvernance, il rend cette crise quasi inévitable.
Généraliser le tiers payant, ralentir la restructuration des hôpitaux publics, affaiblir la médecine de ville, renforcer les rentes des complémentaires santé aux dépens de l’assurance maladie; la liste est longue de décisions contradictoires avec une politique de réduction des dépenses publiques de santé. Après deux ans de politique discriminatoire et vindicative contre les établissements hospitaliers privés et les professionnels de santé libéraux, les liens de confiance sont trop distendus pour engager un tel plan de rigueur. Le secteur public s’est aussi enfoncé tant le soutien par l’inaction et l’incantation lui sont mortifères. Aucun acteur du système, public ou privé, n’est plus responsable de l’incurie des politiques à réformer notre système de santé.
Quant à la stratégie nationale de santé que la ministre va nous proposer dans quelques semaines, elle va à l’encontre d’un plan de modernisation du système associant efficience et qualité. Après un simulacre de dialogue à travers les régions depuis six mois, alors que les principales décisions sont prises depuis septembre 2013, la ministre va nous annoncer l’installation d’un service public territorial de santé. En tentant de nationaliser l’offre de santé, on cherche à installer le modèle anglais, avec son rationnement des soins et ses files d’attente, en pire car sans son efficacité économique de la mise en concurrence locale des offreurs de soins. Les plus grands zélateurs du service public en sont souvent les plus grands fossoyeurs. La dégradation du service public de l’Éducation nationale illustre bien cette triste réalité.
Les propos tenus ici pour la santé sont transposables à l’ensemble des dépenses sociales, dont le potentiel d’économies est considérable à condition de restructurer notre modèle social conçu à une autre époque et dans un autre monde. Il reste à espérer que les grandes capacités de Manuel Valls et son fort capital de confiance l’incitent à faire de la réforme de la santé une de ses priorités, sans la remettre « à plus tard » et sans laisser trop de place à ses zélateurs !