24 septembre 2019 • Opinion •
Elizabeth Montfort vient de publier la note « Familles monoparentales et PMA : quand la loi fabrique de la fragilité sociale » (disponible ici).
Réagissant aux mises en garde de l’Académie de médecine sur l’ouverture de la PMA aux femmes en couple et aux femmes seules, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, s’est exclamé au micro de RTL qu’« aujourd’hui, un quart des familles françaises sont monoparentales. Ne me dites pas que tous les enfants qui y naissent ne sont pas bien construits psychologiquement »…
Elle a tort et sans doute n’a-t-elle pas lu attentivement les chiffres récents de l’INSEE pourtant si instructifs : 85% des familles monoparentales sont constituées de mères seules, 19% vivent sous le seuil de pauvreté (contre 8% en moyenne nationale), 42% des mères seules travaillent à temps partiel et 42% des enfants de ces familles atteignent la seconde sans redoublement (contre 62% pour les familles traditionnelles). Selon le ministère de l’Éducation nationale, le fait de vivre avec un seul parent reste un désavantage qui « s’explique en partie par un déficit de mobilisation familiale autour de l’école ». Les parents seuls ont moins de temps pour s’occuper de leurs enfants.
Le constat est rude et souvent douloureux pour ces familles. Les fragilités sociales s’accumulent au-dessus de leur tête – il faut mentionner en plus les problèmes de logement, de mobilité, etc. – et les risques de précarité plus élevés. Bien sûr, et c’est tant mieux, nombre de ces familles sont heureuses et, Agnès Buzyn a raison, on ne peut pas dire que « tous les enfants qui y naissent ne sont pas bien construits psychologiquement ». Pour autant, est-il responsable de faire comme s’il n’y avait pas de problèmes ? D’expliquer que c’est un « modèle familial » parmi d’autres ? D’escamoter, à l’occasion du débat sur la PMA, ces fragilités sociales que le gouvernement prétend combattre par ailleurs ?
En faisant comme si, Agnès Buzyn omet une réalité lourde de conséquences. Ces familles qui ne le sont pas au départ deviennent monoparentales du fait des aléas de la vie : divorce ou séparation en sont les causes principales. Mais le père existe, il n’est pas nié. Il a été présent auprès des enfants. Le couple parental subsiste après une rupture conjugale : d’où la responsabilité conjointe des parents à l’égard de leurs enfants. Parfois, trop souvent hélas, le père est défaillant, ne verse plus la pension alimentaire, n’accueille plus ses enfants chez lui et n’honore plus ses obligations. Dans le cas des mères célibataires, il est parti avant même d’avoir connu l’enfant : c’est un père absent. La situation des femmes seules ajoute « l’absence de couple à l’absence de père », selon la juste formule du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE). La femme sera seule pour accueillir l’enfant et en prendre soin. Pour autant, s’il est absent, s’il est défaillant, s’il est parfois indigne, le père n’est pas nié.
L’ouverture de la PMA aux femmes seules est d’une toute autre nature : si elle était votée, la loi consacrerait « l’éviction du père et l’absence de l’altérité masculin/féminin » (CCNE, avis 129, septembre 2018). Car il y a une différence fondamentale entre les aléas de la vie qui privent un enfant de père et le fait de l’instituer ab initio : « L’enfant sans père n’aurait, dans son histoire, aucune image du père, connu ou inconnu, mais seulement celle d’un donneur » (CCNE, avis 126, juin 2017).
Assumer cette « révolution dans le droit de la filiation », comme Agnès Buzyn l’a elle-même dit devant la Commission spéciale chargée de la révision de la loi de bioéthique de l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier, c’est assumer que les besoins de l’enfant ne soient pas pris en compte (1). Certes, les besoins matériels pourront être corrigés, en partie, par des aides. Mais les besoins pour que l’enfant grandisse sont d’un autre ordre : il a besoin de cohérence et d’intelligibilité. Il ne peut pas comprendre qu’il puisse être l’enfant d’une seule femme. Il ne peut pas admettre qu’on l’ait privé de son père. La grande faute de ce projet est ainsi d’institutionnaliser la rupture entre enfantement (à la croisée des deux lignées paternelle et maternelle) et éducation qui constituent pourtant les deux piliers de la filiation et qui rend celle-ci accessible à l’enfant. La loi s’apprête à lui imposer un modèle impossible à comprendre ou à imaginer.
Sur ce danger, les pédopsychiatres nous alertent : l’effacement « à la fois symbolique et réel » du père constitue un « problème essentiel », a tenté d’expliquer Pierre-Lévy-Soussan devant la même commission de l’Assemblée nationale. La fonction du père concourt à l’équilibre psychique et affectif de l’enfant : « ouvrir la PMA aux situations ne portant pas l’enfantement priverait l’enfant d’une filiation cohérente », dit Christian Flavigny. La PMA pour toutes les femmes institutionalise une inégalité chez les enfants entre ceux qui ont un père et ceux qui en sont privé par la loi.
Oui, madame Buzyn, il est à craindre que ces enfants n’en souffrent. Votre agacement devant les réserves de l’Académie de médecine est le signe de l’incohérence, de la légèreté et de l’inconséquence de l’éxecutif. En annonçant un grand plan de lutte contre la pauvreté en janvier dernier, le président Macron s’engageait à « lutter contre les inégalités de destin ». Propos qu’il a repris, la semaine dernière, en lançant l’« offre 1 000 jours » pour accompagner les parents et leur bébé durant les mille premiers jours de la vie de l’enfant parce que « la période de la conception aux deux premières années de la vie après la naissance sont déterminantes pour le développement de l’enfant et la santé de l’adulte qu’il deviendra ».
Où est la cohérence de ces annonces avec l’ouverture de la PMA pour les femmes seules ? Où est la cohérence de donner des conseils sur la place du père dans l’éducation de l’enfant tout en l’en privant ab initio ? Où est la cohérence de traiter les risques de précarité des familles monoparentales et de contribuer à en augmenter le nombre ?
Notes •
(1) Voir Elizabeth Montfort, Michèle Fontanon-Missenard, Christian Flavigny et Chantal Delsol, PMA, filiation, transmission : quels sont les besoins de l’enfant ?, Institut Thomas More, juin 2019, disponible ici.