3 octobre 2019 • Opinion •
Le projet de loi bioéthique, en supprimant la référence à l’enfantement, piège l’enfant et abolit le principe régulateur de la vie familiale.
L’humain est-il menacé par l’actuel projet de loi bioéthique ? Oui, aussi sûrement que le progrès industriel a abîmé la planète et pour les mêmes raisons. L’équilibre environnemental a été malmené, les océans désormais pollués par la matière plastique et les airs par les émissions nocives. Le progrès n’est pas en cause, mais l’usage irréfléchi des découvertes aboutit à l’épuisement de la planète. L’humain, aussi fragile que la planète, court aujourd’hui le même danger si les principes de son équilibre ne sont pas respectés. C’est le risque du projet de loi bioéthique actuellement débattu.
L’objectif des pouvoirs publics est pourtant en soi louable : reconnaître à tous les enfants leur place équivalente dans la vie sociale. Mais leur erreur est de viser ce résultat en décrétant équivalentes toutes les modalités de conception de l’enfant et en visant cette égalisation en supprimant « pour tous » la référence à l’enfantement. Or, cette référence est le point de vue qui compte pour que l’enfant puisse s’ancrer dans un lien de filiation crédible, un lien qu’il puisse réceptionner, auquel il puisse adhérer, en lequel il puisse s’inscrire.
La procréation humaine émane de l’amour, ce qui la différencie de la seule reproduction : aimer, c’est désirer combler ce qui est manquant en l’autre, dans les amours adultes comme dans l’amour filial. L’enfant éclot à la croisée des deux manques fondamentaux qui font la nature humaine : l’incomplétude qui fait le vécu de la sexualité (chaque sexe dépend de la rencontre et du partage avec l’autre sexe pour devenir père et mère), et la finitude qui suscite la transmission psychique faisant de l’enfant un successeur dans la lignée des générations. L’enfant naît en cette place symbolique, fondement essentiel de son épanouissement psychique, par delà les aléas du lien d’amour, de ses bonheurs comme de ses heurts.
La bioéthique consiste à adapter les progrès de la technique au vécu anthropologique fondateur de l’humain. Le projet actuellement soumis au législateur s’en écarte, s’appuyant sur un slogan estimant que la procréation serait un privilège d’une « hétérosexualité » qui lèserait celles et ceux qui n’inclinent pas aux relations entre homme et femme et les priverait de l’accès à la venue de l’enfant. Cette thèse résume la procréation à une dimension « sociétale », depuis une approche réductrice limitant l’enfantement à la fécondation des gamètes. Or l’acte de fécondation médicale par une PMA ne devient procréation que s’il est mis au profit d’une union entre les sexes, parce que celle-ci est la relation qui porte la procréation de manière crédible, serait-elle concrètement entravée par une stérilité. Que les lois l’ignorent est un risque majeur pour la transmission de notre humanité.
Certes il arrive que la référence à l’enfantement soit amputée, ainsi si l’homme a disparu pendant la grossesse, privant l’enfant d’avoir un père. La filiation en est fragilisée, d’autant que l’enfant a tendance à se vivre fautif de la situation. Mais que cette référence à l’enfantement soit supprimée par la décision collective énoncée par les lois, cela porte à des conséquences d’une toute autre gravité. Aussi choyé soit l’enfant adopté par une personne seule ou par deux personnes de même sexe ou l’enfant né par PMA d’une femme seule et d’une union de femmes si la loi validait cette possibilité, son éveil psychique devra composer avec l’absence d’un enfantement crédible. La condition en est que la vérité qui l’a appelé dans sa vie de famille ne soit pas truquée : cette vérité, c’est que pour des options de leur vie affective, les adultes se sont écartés du pouvoir procréateur porté par l’union d’un homme et d’une femme.
Or le projet de loi propose des énoncés factices. Il en va ainsi de la connaissance du géniteur, qui ne pallie en rien l’exclusion de père ou de tel acte notarié qui enregistrerait l’intention de deux femmes d’être les co-mères : ce sont des leurres dont l’enfant perçoit l’invraisemblance à l’égard d’un enfantement. Par là, la parole collective des lois piège l’enfant, énonçant une pseudo-filiation contraire à toute vraisemblance, par conséquent peu sécurisante puisque basée sur des intentions honorables mais sujettes à fluctuations, surtout si quelque orage, et il en survient dans toute vie de famille, en menace l’équilibre. Tout cela entrave sa possibilité de comprendre les raisons qui ont motivé les adultes à favoriser sa venue à l’écart de l’enfantement.
Les pouvoirs publics se réclament d’un « progressisme » qui apparaît dès lors pour ce qu’il est. D’abord une incantation, qui ne vaut guère plus que le pacifisme d’entre les deux guerres réclamant la paix selon les procédés de la pensée magique et de l’auto-persuasion. Ensuite une prétention, le législateur prétendant légiférer dans le champ bioéthique en bafouant les principes fondateurs de l’humain, ravalant dès lors la procréation à la seule production organique d’un embryon – or, seule la filiation cohérente conditionne l’équilibre de la vie familiale depuis l’instauration des interdits familiaux, de l’inceste et du meurtre. Banaliser la venue de l’enfant à l’écart de l’enfantement crédible, c’est ériger en un tout-pouvoir les desideratas des adultes, avec toutes les dérives possibles. C’est donc abolir le principe régulateur de la vie familiale, et ceci pour toutes les familles, puisque cela provient de l’énoncé à portée collective des lois.
Enfin le « progressisme » est une perversion car, pour aboutir à ses fins, il manipule le sens des mots ou plutôt les vide de leur sens, gardant la coque dépouillée de sa substance. Ce fut déjà le cas à propos du mariage, rituel accompagnant les jeunes couples vers le pouvoir procréateur que présage leur union : il fut délesté en 2013 de cette fonction symbolique à la raison d’être « pour tous », dès lors devenant un simple acte administratif permettant toutes les déclinaisons à distance de l’enfantement. La même manipulation est envisagée pour la PMA : parler de son « ouverture à toutes » est une duperie puisque la fécondation médicale ne serait plus mise au service de ce qui fonde la procréation : la relation potentiellement procréatrice d’un homme et une femme en âge de procréer.
On a le droit, sans doute, de modifier le sens des mots, mais à condition de ne pas le masquer. En prétendant ne rien modifier des pratiques mais ne faire que « les ouvrir » à de nouveaux bénéficiaires, les pouvoirs publics tiennent un discours mensonger : en fait, ils les détruisent « pour tous ». Comment cela n’aurait-il pas les plus graves conséquences, puisque c’est l’essence du lien familial qui est atteinte ? Comme pour les dégâts environnementaux, ces conséquences seront notre triste legs aux générations futures. L’urgence écologique résulte d’avoir malmené les lois de la nature. Prenons garde de ne pas malmener les lois de la transmission de l’humain : que le législateur ne prenne pas en compte les besoins fondamentaux de l’enfant pour s’inscrire comme petit humain, cela peut conduire au désastre.