17 juin 2020 • Entretien •
Le pacte ébauché par la Commission européenne continue de voir l’immigration comme une opportunité économique, sans prendre en considération la fracturation de nos sociétés, la montée du communautarisme et du racialisme, les phénomènes spectaculaires de violence ethniques qui nous explosent au visage. La question migratoire n’est pas primordialement économique ou sociale. Elle est désormais existentielle.
Que contient le brouillon du « pacte pour les migrations » promis par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ?
Rappelons d’abord que ce pacte devait être l’un des piliers de la politique de la nouvelle Commission européenne entrée en fonction l’an passé – avec la création d’un étrange portefeuille à la « promotion de notre mode de vie européen », confié au conservateur grec Margaritis Schinas. Initialement prévue pour mars, sa présentation est désormais annoncée pour la fin juin. Mais il se répète beaucoup à Bruxelles que l’Allemagne, qui prend la présidence tournante de l’Union européenne le 1er juillet, n’a pas très envie de rouvrir le dossier explosif de la question migratoire.
Sur le fond, bien que paré du titre de « nouveau pacte pour les migrations », ce sont les vieilles questions irrésolues – et irrésolues pour de bonnes raisons, on va le voir – qui y sont abordées : l’accueil des demandeurs d’asile, le rapprochement des règles qui régissent l’asile dans les différents États européens, le fameux règlement de Dublin qui oblige le premier pays d’entrée dans l’UE à se charger de l’instruction des dossiers ou encore les mécanismes de débarquement des migrants secourus en mer.
La Commission parle en particulier d’un texte censé créer un consensus en « évitant tout effet d’aspiration », contrairement à ce qui s’est produit en 2015. Est-ce un vœu pieux ?
Naturellement. Tant que le message envoyé aux candidats à l’immigration vers l’Union européenne sera qu’il est facile d’entrer, l’« effet d’aspiration » ne pourra être évité. Prenons un exemple, sans remonter à 2015. Vous vous souvenez qu’en mars dernier, plus de 130 000 candidats à l’immigration ont été massés dans la partie européenne de la Turquie par le régime de Recep Tayyip Erdoğan. De l’aveu même du ministre turc de l’Intérieur, seuls 20 à 25% d’entre eux étaient syriens et pouvaient éventuellement prétendre au statut de réfugiés. D’autres pouvaient provenir du Soudan, d’Erythrée ou de Somalie et y prétendre également.
Mais cela veut dire qu’une grande majorité était issue de pays qui ne sont pas en état de guerre. Le statut de demandeur d’asile n’est pas défini par l’émotion ou je-ne-sais quel humanitarisme mêlé de repentance qui justifieraient que l’Europe accueille « toute la misère du monde ». Il l’est par la Convention de Genève de 1951. L’axiome mortifère de Christophe Castaner selon lequel « l’émotion dépasse les règles juridiques » n’est pas plus admissible en droit international qu’en droit public.
Le but est-il de limiter l’immigration ou continue-t-on de penser que l’Europe a besoin de renouveler une partie de sa main d’œuvre ?
C’est le point le plus significatif de l’initiative, selon moi. La Commission européenne ose encore prétendre que l’UE, dont la population vieillit et serait en manque de main d’œuvre, aurait intérêt à « attirer ceux dont elle a besoin pour la compétitivité de son économie et le maintien de son bien-être »…
C’est la reprise pure et simple de la vision de l’ONU dans son fameux rapport « Migration de remplacement : une solution au déclin et au vieillissement de la population ? », publié en 2000. Ce rapport était pétri du dogme de la « mondialisation heureuse » qui régnait à l’époque. Le problème est qu’on est vingt après et que le bilan est pour le moins sombre ! Ce dogme, qui voyait la personne humaine comme un « agent économique » interchangeable et déplaçable au gré des besoins de la mondialisation, ne résiste pas au spectacle de la fracturation de nos sociétés, de la montée du communautarisme et du racialisme, des phénomènes spectaculaires de violence ethniques qui nous explosent au visage.
Soutenir une telle vision alors que, pour parler de la France, nous sommes submergés par une vague de revendications pleines de ressentiment et de haine explicite de notre pays, de son histoire et de sa culture, est une faute morale. La Commission européenne prouve une nouvelle fois à quel point elle ignore la réalité vécue des peuples qu’elle est censée servir. Mais elle n’est pas seule responsable : les États membres le sont aussi en la laisser faire.
Le renforcement des moyens alloués à Frontex peut-il laisser espérer un meilleur contrôle aux frontières extérieures de l’Europe ?
Partiellement oui. Lors de l’épisode de mars dernier, Frontex a lancé une intervention rapide à la frontière gréco-turque, avec l’envoi de 1 500 gardes-frontières, prêtés par les États membres. Mais Frontex n’est qu’un outil au service d’une politique. Et je rappelle que l’Institut Thomas More a fait l’an passé, au moment des élections européennes, des propositions pour renforcer la contribution européenne face au défi migratoire.
Mais le fond de la question n’est pas tranché : veut-on, oui ou non, limiter l’immigration en Europe ? Tant que l’objectif ne sera pas clair, on restera à la merci de ces flux considérables. A ce sujet, j’attire l’attention sur ce qui se passe en Libye. En installant une sorte de protectorat turc sur la Tripolitaine et l’ouest du pays, le régime de Recep Tayyip Erdoğan s’assure la maîtrise d’une seconde route migratoire vers l’Europe. Erdoğan tient, mieux encore qu’il y a quelques mois, le pistolet migratoire sur la tempe des Européens…
Certains pays (la Pologne, l’Autriche, etc.) refusent toujours d’accueillir des migrants sur leur sol, l’Union européenne entend-elle leur faire changer d’avis ? En échange de quelles garanties ?
Je doute que ces pays changent de politique dans un avenir proche. D’abord, parce que leur position en matière migratoire correspond aux attentes d’une majorité de leur population. Ensuite, parce qu’elle a permis leur élection ou leur réélection. Enfin, et plus profondément, parce que les pays d’Europe centrale et orientale voient les méfaits du communautarisme et du séparatisme dans les pays d’Europe occidentale et n’en veulent tout simplement pas.
La question migratoire n’est pas primordialement économique ou sociale. Elle est existentielle : voilà ce que nous disent ces pays. Et voilà ce que ne veut ou ne sait pas voir la Commission européenne. Cela m’étonnerait donc beaucoup que son plan à courte vue et qui propose des instruments sans dire au service de quelle politique elle les met, ait une chance de trouver grâce à leurs yeux…