13 décembre 2020 • Chronique •
Du fait des faiblesses intrinsèques de l’économie française, manifestes avant la crise du Covid-19, le scénario d’un rattrapage rapide en 2021 a du plomb dans l’aile. Démonstration.
Faisons fi des sempiternels Cassandre de l’économie et de la finance (certains en ont fait une profession ou un business) : l’analyse froide oblige à dire que les deux grandes puissances (les États-Unis et la Chine) ainsi que quelques locomotives industrielles (l’Allemagne) connaîtront un rebond conséquent de leurs économies en 2021. Avec moins de périodes de confinement en 2020, un appareil productif intact et un vaccin qui pourrait normaliser la situation sanitaire d’ici quelques mois, ces grandes économies ont de sérieux arguments pour mettre les scories de 2020 derrière elles assez vite. Malheureusement, c’est loin d’être le cas pour la France : ce n’est pas tant ici la stratégie sanitaire qui est en cause (certes souvent incompréhensible et axée sur la fermeture des commerces et l’enfermement de tous les citoyens). Mais plutôt les faiblesses intrinsèques de notre économie, manifestes début 2020 avant le début de la crise sanitaire.
En effet, à la différence de nombre de nos partenaires européens, nous avons fini le dernier trimestre 2019 avec une croissance de -0,1% et un chômage encore élevé à 8,4%. Constat bien connu, notre économie avait un taux de prélèvements obligatoires, un niveau d’imposition et de dépense publique sans égal parmi les nations développées. Seule la dette, certes flirtant avec les 100% du PIB, restait raisonnable par rapport aux États du sud de l’Europe. Post-Covid, l’économie française s’ancre solidement dans le clan des cancres : une dette à 120% du PIB, une dépense publique à 64% du PIB, malgré un plan de relance infinitésimal par rapport à la relance contracyclique allemande… Si nos impôts n’augmentent plus, ils ont été stabilisés à un niveau élevé de dix points du PIB supérieur à la moyenne européenne.
Après un pic pendant le premier confinement, le chômage reflue déjà vers 6,5% en Allemagne ou aux États-Unis là où le nôtre se détériore rapidement et atteindra probablement 10% début 2021, soit le niveau de la dernière crise financière. Il y a désormais en permanence, dans les bons comme les mauvais moments, trois à quatre points de chômage d’écart entre la France et l’Allemagne… Est-ce que 2021 peut changer la donne ? Il y a peu, l’INSEE et la Banque de France prévoyaient un très fort rebond de croissance en 2021, depuis revu à la baisse, à un niveau tout de même appréciable de 6%, suivi d’une année 2022 à 3-4%. Cette vision d’un rattrapage rapide, disons-le âprement, est une vue de l’esprit.
Nous ne connaissons pas encore l’atterrissage final pour 2020 (sans doute une contraction de 9 ou 10% du PIB) mais le second confinement ne paraît pas terminé et la croissance aura du mal à être positive au premier trimestre 2021. Par ailleurs, du fait des multiples dispositifs d’aides, les faillites et licenciements n’ont commencé qu’il y a quelques semaines et le pic du carnage économique et social est pour le printemps. En termes de chômage supplémentaire et de précarité, c’est plus 2021 que 2020 qui restera l’année symbole : il y aura certes un fort rattrapage et un engouement dans certains secteurs (tourisme, hôtellerie) lorsque la vaccination et les tests seront suffisamment avancés, mais seuls les plus aisés de nos concitoyens en profiteront.
En réalité, les économistes commencent à comprendre que le rattrapage sera étendu sur deux ou trois ans. 2021 ne verra probablement pas ce taux de 6 ou 8% de rebond, mais plutôt aux alentours de 4%, principalement durant le deuxième semestre, et avec un rebond se prolongeant autour de 3% de croissance en 2022 et peut être 2-3% encore en 2023, bien au-delà de la croissance normale française de 1% en tendance – et ce sans préjuger bien sûr du nouveau contexte politique possible en mai-juin 2022, qui peut avoir un effet positif comme négatif sur la tendance de croissance.
C’est donc un long chemin de croix d’au moins dix-huit mois qui attend l’économie française même quand la crise sanitaire sera réglée et il ne faut pas espérer une année 2021 en symétrie inverse du carnage de 2020. 2021 sera encore hybride, entre fin de la pandémie, faillites, redressement dans d’autres secteurs, fausses joies dans d’autres probablement. C’est toute notre fabrique économique et sociale qu’il nous faudra commencer à rebâtir, puisque nombre d’emplois de services, notamment en milieu urbain, ne reviendront pas avant de longues années. Nous dirons certes volontiers au revoir à 2020 lors du jour de l’an mais n’attendons pas trop de 2021…