Démographie · « La France paie le démantèlement de sa politique familiale »

Gérard-François Dumont, professeur émérite de l’Université de la Sorbonne, directeur de la revue Population et Avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

11 mars 2021 • Opinion •


La baisse des naissances observée en janvier en France, mais aussi dans la plupart des pays européens, est-elle liée à la crise du Covid 19 ? Le confinement ne laissait-il pas espérer un « baby-boom » ?

Avec la pandémie, la baisse des naissances était inéluctable. Elle a contraint à repousser certains mariages programmés et une première naissance a parfois été retardée. En outre la fermeture de nombreux lieux de sociabilité a signifié une très forte diminution des possibilités de rencontre, de mise en couple et donc de projets parentaux. Par ailleurs, la détérioration du marché de l’emploi a pu conduire à renoncer à des projets d’enfants en raison des incertitudes économiques.

Cette baisse des naissances s’inscrit-elle dans un contexte de dénatalité en Europe ?

C’est un phénomène qui s’ajoute à une réalité structurelle. Depuis les années 1970, l’Europe est en hiver démographique, puisque le niveau de fécondité est insuffisant pour assurer le simple remplacement des générations. En conséquence, depuis 2012, l’Union européenne compte chaque année moins de naissances que de décès.

De 2000 à 2010, la France, contrairement à l’Allemagne, semblait pourtant échapper à cet hiver démographique…

Si l’on considère les niveaux de fécondité des pays européens et les différentes politiques familiales, le résultat est clair : les pays dont la politique familiale est faible ont les fécondités les plus basses. Ceux dont la politique familiale est moins timorée ont les fécondités les plus élevées. Jusqu’au milieu des années 2010, la politique familiale de la France lui permettait d’avoir la fécondité la plus élevée d’Europe, un temps devancée seulement par l’Irlande. C’était une politique qui, avec ses multiples déclinaisons financières, fiscales et de facilitation de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, satisfaisait les Français. Puis, sous le quinquennat Hollande, un démantèlement systématique est intervenu : fin de l’universalité des allocations familiales; diminution de l’équité fiscale ; réforme du congé parental rendant celui-ci considérablement moins attractif ; forte diminution de l’autonomie fiscale des collectivités locales contraintes de revoir à la baisse leurs systèmes de garde de jeunes enfants.

La chute des naissances exerce-t-elle des tensions sur notre système social, notamment de retraite ? Le recours à l’immigration serait-il obligatoire ?

La dénatalité exerce des effets économiques à court terme sur la demande et sur le dynamisme économique, puisque l’enfant est un élément «actif» de l’économie. À moyen terme, c’est la population active qui diminue, par conséquent un potentiel moindre de création de richesses. D’où le raisonnement comptable selon lequel il suffit de remplacer des naissances non survenues par des immigrants venant pour l’essentiel de pays du Sud. C’est une erreur. D’abord, une partie des immigrants des pays du Sud ne correspond pas aux besoins économiques du pays, puisque leurs taux de chômage sont le double et parfois davantage de la moyenne nationale. D’autres immigrants viennent de pays du Sud avec des qualifications recherchées. Mais n’y a-t-il une contradiction à accroître l’aide publique au développement et à accorder des visas à des médecins de pays du Sud, comme si ces pays n’en avaient pas besoin pour améliorer leur situation sanitaire, condition essentielle du développement ? Enfin, la France a encore aujourd’hui suffisamment de population active, mais un très faible taux d’emploi. La mobilisation du pays doit donc porter sur la nécessité de créer des emplois et de rendre sa population plus « employable ».

Quelles peuvent être les conséquences géopolitiques de cette dénatalité ?

Les conséquences géopolitiques pour l’Europe sont déjà à l’œuvre. Des décennies de dénatalité imposent des contraintes non seulement sur les systèmes de retraite mais aussi sur le budget de l’État. Les différences d’intensité de l’hiver démographique en Europe sont aussi un facteur de désunion. Elles expliquent la grande ouverture migratoire de l’Allemagne en 2015, décision prise unilatéralement. L’importante diaspora turque en Allemagne conduit Berlin à se montrer particulièrement laxiste vis-à-vis des pressions géopolitiques d’Erdogan. Et les entreprises européennes ont bien été obligées d’aller trouver de nouveaux consommateurs sur d’autres continents.