21 septembre 2021 • Opinion •
Depuis la pandémie, les Français ont épargné 157 milliards d’euros de plus que d’habitude. Pour Sébastien Laye, ce surplus d’épargne s’explique en partie par l’instabilité engendrée par les confinements successifs.
Depuis le début de la crise, l’État français s’est lancé dans une course dispendieuse à la dépense publique, en vertu de l’adage « quoi qu’il en coûte » : si ce mouvement fut commun à l’essentiel des démocraties occidentales (avec ici plutôt des aides directes aux entreprises ou des prêts pour un total de 100 milliards, là ou d’autres firent le choix d’une aide aux ménages comme aux États-Unis), il se distingue en ce qu’en France, il s’inscrit dans un contexte de finances publiques dégradées bien avant la crise. Héritage de plusieurs décennies d’errance, il s’est aggravé sous Macron qui n’a rien fait de bien concret pour juguler cette dérive.
Or, face à cet État-cigale, l’épargne des Français atteindra à la fin de l’année un niveau record : on estime à 500 milliards d’euros l’argent sur les comptes courants ou en placements, et le niveau de « vraie » épargne de long terme atteint presque une fois et demi les différentes interventions de l’État : soit une épargne excédentaire de 157 milliards d’euros pendant la pandémie. Cette sur-épargne ne s’explique pas uniquement par la consommation contrainte durant les trois confinements (largement compensée par le rattrapage rapide à chaque déconfinement, ainsi que par différents services à domicile mis en place durant la période).
La Banque de France explique aussi que cette épargne fut liée aux craintes de perdre son emploi durant la crise : face à un climat de défiance à l’égard des politiques, et malgré les aides aux entreprises, nombre de Français ont généré une épargne de précaution face au possible chômage. En dépit de la relative stabilité du chômage en France grâce au chômage partiel, cette épargne n’est pas près d’être consommée : d’aucuns doutent de la situation économique française, en particulier sur le front de l’emploi, après la fin de ces mesures et la normalisation post-crise.
Il faut regarder aussi attentivement l’allocation de cet argent : si les ménages les plus aisés sont allés vers l’assurance vie, la bourse ou l’immobilier, l’essentiel des sommes (environ 10 000 euros par ménage) est simplement venu abonder des comptes courants, du livret A ou développement durable, autrement dit, les produits les plus liquides. Il s’agit donc davantage d’une épargne de précaution que d’une épargne d’investissement. Ayant eu l’expérience des confinements, d’arrêts d’activité, les ménages gardent en liquidité plusieurs mois de dépenses : cette tendance paraît pérenne et on la constate dans d’autres pays comme les États-Unis où traditionnellement, les gens vivaient au jour le jour sans réelle épargne de précaution sur leur compte courant.
L’autre partie de l’épargne, la vraie épargne de placement, s’explique par des craintes sur notre État Providence et ce qu’on appelle en économie l’effet Barro-Ricardo : il s’agit de la théorie économique selon laquelle, lorsque l’État s’endette pour effectuer une relance budgétaire, les agents économiques sont capables d’anticiper rationnellement une future hausse des impôts et ainsi réduisent leur consommation. Face à une dette hors contrôle, un système de retraites déséquilibré, il est rationnel pour les ménages français de constituer cette sur-épargne.
Cette épargne n’est pas nécessairement contreproductive ou thésaurisée inutilement – elle circule dans le système bancaire et participe en (faible) partie à l’activité de prêts des banques, même si en réalité une banque ne prête pas vraiment des dépôts, elle utilise plutôt ces dépôts comme levier de création monétaire. Mais les gouvernants et certains économistes en font une présentation pessimiste, au nom de deux arguments : le premier serait que cette épargne serait un prélèvement sur la consommation et le PIB (avec 160 milliards, on gagnerait 6 points de croissance !), le second que l’épargne favoriserait d’abord les plus nantis qui s’enrichiraient, creusant les disparités sociales.
En réalité, on peut inciter à une utilisation intelligente d’une partie de cette épargne, à condition d’améliorer l’information financière à destination des ménages, de mieux réguler les professionnels de l’investissement et d’imaginer de nouveaux produits (qui souvent existent dans d’autres pays, il suffit ici de copier nos voisins). Il est primordial d’imaginer de nouveaux dispositifs qui permettent d’utiliser une partie du potentiel d’épargne pour la flécher vers les entreprises françaises qui font la vitalité économique du pays. Le financement de moyen terme vers les entreprises s’est considérablement développé avec la désintermédiation bancaire.
Par ailleurs, un vrai plan public-privé d’investissements dans les infrastructures, la rénovation énergétique et le logement intermédiaire, donnerait naissance à des produits de rendement intéressants pour les ménages. Cela suppose l’implication intelligente et non autoritaire des pouvoirs publics, mais aussi le développement d’un système de retraites par capitalisation ; nul pays n’a 100% de capitalisation ou de répartition en la matière, mais la période post-Covid, avec un excès d’épargne thésaurisée sans débouchés, serait le moment idoine pour expérimenter une part de capitalisation dans nos retraites.