18 mars 2006 • Analyse •
Le 7 mars 1966, voici quarante ans, le général De Gaulle annonce au président des Etats-Unis, Lyndon B. Johnson, une décision lourde de conséquences : les armées françaises sortent des structures militaires intégrées de l’OTAN. Avec le Conseil atlantique à Paris, le Commandement suprême des Forces alliées (le SHAPE) à Rocquencourt et un important contingent américain, le territoire français était jusqu’alors au cœur du système atlantique. La décision du Général entraîne un remaniement d’ensemble du dispositif allié. Les principaux organes civils et militaires de l’OTAN sont transférés en Belgique. La France reste membre de l’Alliance atlantique mais elle sort du circuit interne de décision.
Magnifiée comme une héroïque sortie de l’orbite américaine, la décision du 7 mars 1966 marque l’échec du projet d’ « Europe française ». Paris n’a pu se hisser à la tête d’un ensemble ouest-européen et se poser en pair de Washington… Et dans les années qui suivent, les autorités politiques et militaires françaises n’ont de cesse de réduire la fracture entre la France et l’OTAN. Accords militaires, dispositions d’ordre logistique et création de la Force d’Action Rapide (1984) organisent la montée en puissance du corps de bataille français en Centre-Europe, face au Pacte de Varsovie. La rhétorique des diplomates ruse sur l’axe Est-Ouest mais la posture stratégique est sans équivoque…
Après la « victoire froide » de l’Ouest sur le soviétisme, la France et ses partenaires donnent une nouvelle impulsion à l’unification politico-militaire de l’Europe. Autonomie de décision et gestion des crises en mode européen sont à l’ordre du jour mais l’Europe de la défense n’est pas la défense de l’Europe : l’OTAN conserve le monopole de la défense collective du territoire européen. Les nouvelles « démocraties de marché » du continent intègrent les instances euro-atlantiques – l’Union européenne pour l’économie et l’Alliance atlantique pour la sécurité – et les Etats-Unis assurent le rôle de balancier au large.
Depuis les guerres balkaniques qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie, la France renforce les synergies avec l’OTAN élargie et travaille à sa « transformation ». Ainsi les armées françaises participent-elles à la mise sur pied de la Force de réaction de l’OTAN (FRO), fer de lance du nouvel atlantisme. Lors d’une réunion informelle à Taormine (Italie), les 9 et 10 février 2006, les ministres de la défense de l’OTAN ont exprimé leur volonté de faire en sorte que cette Force de réaction soit opérationnelle pour le sommet atlantique de Riga, en novembre prochain. Des officiers français sont intégrés dans la chaîne de commandement de la FRO et leurs homologues alliés, Américains compris, incorporent les états-majors de type OTAN montés sur le territoire national.
Au-delà du continent européen, la France via l’OTAN est engagée en Afghanistan et l’organisation atlantique est la « boîte à outils » de « coalitions de bonnes volontés ». Sur le vaste front de la lutte contre l’islamo-terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, les Français sont aux côtés de leurs alliés et partenaires. Une alliance globale anti-chaos prend forme.
Décrié par des discours et des représentations imprégnés de non-alignement et de tiers-mondisme, l’atlantisme français est donc une posture géopolitique de longue haleine. Les faits commandent et l’émergence de nouvelles menaces au Sud de l’Ancien Monde, de la Méditerranée au Moyen-Orient, ne peut être contenue par un hypothétique magistère moral. Dans l’affaire des caricatures de Mahomet, l’Europe ne vient-elle pas d’être promue au rang de « Grand Satan » ?
Pour autant, le grand écart entre les budgets et les capacités militaires de l’Europe et des Etats-Unis fragilise la cohésion géostratégique du monde occidental. En cela, les progrès de l’Europe de la défense conditionnent la pérennité du lien transatlantique La « participation certaine » de la France à la FRO contribue simultanément à la transformation de l’OTAN en une alliance équilibrée et à la mise sur pied d’un pilier européen de défense. Sur le plan rhétorique, il ne reste plus qu’à en terminer avec le « titisme » à la française.