Le sultanat d’Oman · Sentinelle d’Ormuz

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

4 mai 2011 • Analyse •


Lors de la « Journée nationale du golfe Persique », le 30 avril 2011, le général Hassan Firouzabadi, chef d’état-major des armées iraniennes, a dénoncé le « front des dictatures arabes » contre l’Iran, affirmant que « le golfe Persique a toujours appartenu, appartient et appartiendra toujours à l’Iran ». Cette revendication met en jeu la sécurité du détroit d’Ormuz par lequel transite le tiers du pétrole mondial, à destination de l’Europe, de l’Amérique du Nord et, plus encore, de l’Asie du Sud et de l’Est. En face de l’Iran, le sultanat d’Oman est l’autre Etat en charge de ce goulet d’étranglement énergétique. Un pays discret dont les évolutions doivent être attentivement suivies.


Le sultanat d’Oman est un Etat montagneux du Sud-Est de la péninsule Arabique qui couvre 309 500 km² et compte près de 3 millions d’habitant, dont un quart de simples résidents provenant en grande partie du sous-continent indien. Géographiquement, ce sultanat se compose de deux parties séparées par l’émirat de Fujaïrah (membre des Emirats Arabes Unis) : la presqu’île Rus al Djebel dont le grand massif du Djebel Akhdar (2050 m) domine le détroit d’Ormuz; la côte de Mascate et l’essentiel du territoire, en bordure du Golfe d’Oman et de la mer d’Oman (ou mer d’Arabie). Historiquement, il s’agit là un pays de navigateurs dont la richesse des ports est légendaire (voir le port de Mascate) et dont l’histoire maritime évoque les aventures de Sinbad le marin.

La grande majorité des Omanais a pour particularité, au plan religieux, de pratiquer l’ibadisme, une variante du kharidjisme, branche rigoriste de l’islam distincte tout à la fois du sunnisme et du chiisme (un imamat ibadite est fondé à Nizwa, dans l’intérieur des terres, dès 791). En partie sous domination portugaise aux XVIe et XVIIe siècles, le territoire omanais a ensuite été contrôlé par les Séfévides (Empire perse). En 1744, la victoire d’Ahmed Ibn Said, fondateur de l’actuelle dynastie au pouvoir, libère Oman de la tutelle perse. Oman connaît alors une période faste, jusqu’à ce que l’ouverture du canal de Suez, en 1869, ne détourne vers la mer Rouge un important trafic commercial. A l’intérieur du sultanat, des tribus se révoltent de manière régulière et l’insécurité demeure endémique mais elle reste sous contrôle. La compagnie anglais des Indes est représentée à Mascate dès 1798 (date d’un traité signé avec le sultan) et les Français sont présents en 1808.

Entité la plus orientale et maritime du monde arabe, le sultanat d’Oman est tourné vers l’océan Indien, l’Afrique de l’Est et l’Asie du Sud et du Sud-Est. A ses grandes heures, le sultan a fait la conquête de Zanzibar et pris le contrôle des marchés d’esclaves, jusque dans le sud de la Tanzanie ainsi qu’au Baloutchistan ; c’est en 1958 que l’avant-dernier sultan d’Oman vend au Pakistan le port de Gwadar. Au cours du XIXe siècle, le sultanat d’Oman doit cependant faire face à la pression des Wahhabites et des Saoud depuis l’intérieur de la péninsule Arabique, à la présence renforcée des Anglais et des Français dans la région ainsi qu’à de nouvelles révoltes de tribus à l’intérieur du territoire. Celles-ci refondent un imamat, rival historique de la dynastie au pouvoir (1913).

En 1862, Anglais et Français ont garanti l’indépendance du territoire mais l’ouverture du canal de Suez et ses conséquences sur la géographie des routes commerciales, les développements de la navigation à vapeur qui accélèrent le cours des choses et dévaluent le savoir-faire omanais en matière de maîtrise des courants et des vents, la fin de l’empire omanais en Afrique aussi, conduisent le sultan à accepter de la part de Londres un protectorat de facto. Il se perpétuera jusqu’à ce que les Britanniques se retirent de la zone, en 1971, non sans hésitations et débats à Londres (le « stop-and-go » et les difficultés économiques l’emportent).

En 1937, un accord de prospection est signé entre le sultan omanais d’une part, la Petroleum Development (filiale de l’Iraq Petroleum Company) d’autre part. Cependant, les troubles intérieurs sont aggravés par les revendications de l’Arabie Saoudite sur la région ou se concentrent l’exploration des ressources. Ces faits retardent les opérations jusqu’à la réduction d’une énième révolte, en 1957. Amorcée en 1962, l’exploitation ne commence véritablement qu’en 1969. L’année suivante, l’actuel sultan, Qabous Ibn Said, prend le pouvoir des mains de son père et il amorce une politique d’ouverture. En 1971, les Britanniques se retirent de leurs positions à l’est de Suez et le sultanat d’Oman accède à une pleine indépendance (les Britanniques conservent une présence sur la base de Masirah jusqu’en 1977). Outre les litiges territoriaux avec l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis (réglés depuis), le sultan doit affronter la rébellion du Dhofar. Elle est vaincue en 1975, avec l’appui de l’Iran impérial et du Royaume-Uni.

Membre du Conseil de Coopération du Golfe, fondé en 1981, le sultanat d’Oman assure la surveillance du détroit d’Ormuz, en coopération avec l’Iran. Situé entre la région iranienne du port de Banda Abbas et le cap Musandam, qui dépend du sultanat d’Oman, le détroit d’Ormuz est large de 40 km et long de 63 km. Il relie le golfe Arabo-Persique à la mer d’Oman et à l’océan Indien. A la veille de l’indépendance des Emirats Arabes Unis, en 1971, l’armée du Shah d’Iran a occupé trois îlots (Abu Musa, Petite Tomb et Grande Tomb) qui permettent le contrôle de ce détroit (les relations entre l’Iran et les EAU n’en sont pas facilitées). Par cette voie de passage à caractère géostratégique, organisée en rails de navigation, il s’écoule près du tiers du pétrole mondial, à destination de l’Europe et de l’Amérique du Nord, dans une moindre mesure, ainsi que de l’Asie du Sud et de l’Est.

Placé sous le régime du libre transit, le détroit d’Ormuz est donc l’objet d’une double surveillance, sans parler du dispositif militaire américano-occidental déployé dans cette région névralgique. Dans le cadre de la crise nucléaire iranienne, en cas de recours à la force, Téhéran a menacé de bloquer le détroit d’Ormuz. En fait, depuis la doctrine Carter adoptée en 1979 – sur de révolution islamique iranienne et d’invasion soviétique de l’Afghanistan -, doctrine prolongée par la mise sur pied en 1983 du CENTCOM (Central Command, Tampa/Floride), ce grand commandement américain en charge du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, les Etats-Unis considèrent que la libre circulation des flux dans le détroit d’Ormuz relève d’intérêts vitaux. Leur présence militaire dans la région est massive, avec l’ile de Diego Garcia comme base navale arrière, au beau milieu de l’Océan Indien.

Considéré comme un allié des puissances occidentales, le sultanat d’Oman entretient pourtant des relations correctes avec Téhéran et il privilégie une voie pacifique dans la résolution de la crise nucléaire iranienne. Bien que d’importantes réformes constitutionnelles et politiques aient été opérées depuis le décret de 1996 qui réorganise le système de pouvoir, la vie politique à Oman a subi les contrecoups des révoltes arabes de 2011. Du moins la situation intérieure n’a-t-elle pas versé dans le chaos et le sultanat d’Oman bénéficie du soutien de l’Arabie Saoudite comme des autres pays du CCG (Conseil de coopération du Golfe). Abusivement présentée comme une coquille vide, le CCG s’est avéré être une précieuse structure de coopération politique et un système de sécurité indispensable qu’il faudra consolider et réassurer par l’engagement durable des puissances occidentales dans le golfe Arabo-Persique.