Les raisons essentielles de la réconciliation entre la France et le Maroc

Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l’Institut Thomas More

1er août 2024 • Opinion •


L’échec du « en même temps » sur le plan intérieur, que constitue la situation de blocage institutionnel où a conduit la dissolution hasardeuse voulue par Emmanuel Macron, s’accompagnera-t-il de son abandon sur le plan international ? Ce serait souhaitable au vu du nombre de dossiers diplomatiques sur lesquels la « pensée complexe » du président s’est fourvoyée en sept ans : OTAN, Russie, Chine, Afrique, Liban, Algérie, etc.

En reconnaissant le 30 juillet le plan d’autonomie marocain comme « la seule base pour aboutir à une solution politique juste et durable » et la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, le président de la République accomplit un pas substantiel sur le chemin de la réconciliation avec le royaume chérifien. Réconciliation qui obéit aux règles d’or de toute bonne politique étrangère : intérêts, vision, durée. Si cette décision met l’Algérie en colère (elle a déjà rappelé son ambassadeur), elle consiste en une triple actualisation lucide de la posture française.

La première est constituée par le constat d’échec du « pari algérien » dans lequel Emmanuel Macron s’était enfermé depuis 2017. Pendant sept ans, le président de la République s’était persuadé, souvent contre l’avis du quai d’Orsay, qu’un acte de réconciliation, solennel et refondateur, était possible et souhaitable avec Alger – quelque chose d’analogue au traité de l’Elysée qui avait marqué la réconciliation franco-allemande en 1963.

Il prétendait ainsi solder le douloureux passé et préparer l’avenir avec un pays incontournable sur le flanc méditerranéen de notre pays, tant pour des raisons géopolitiques, migratoires qu’économiques. Las, aux innombrables gestes de bonne volonté, en particulier sur le plan mémoriel et symbolique (sur lequel Emmanuel Macron était allé jusqu’à humilier la France), Alger ne répondit que par des récriminations, des exigences supplémentaires, des faux-fuyants. Cet aveuglement présidentiel dura longtemps et fit de profonds dégâts dans la relation franco-marocaine. Il semble avoir enfin cessé. Emmanuel Macron semble avoir considéré que, tout compte fait, il y avait davantage de fruits à espérer d’un rapprochement avec Rabat qu’à poursuivre des chimères avec Alger.

La deuxième actualisation réside, par le geste accompli, dans la reconnaissance du statut désormais acquis par le Maroc : celui d’une puissance régionale. Seul pays stable du Maghreb et des rivages de l’immense océan sahélo-saharien, il constitue une vigie incontournable sur des mondes en ébullition, traversés de tensions et de menaces. De fait, cela fait vingt-cinq ans que le pays travaille à parfaire et polir les différentes facettes de cette stabilité tant politique qu’économique. Alors que la Tunisie s’enfonce dans une sorte de lente glaciation autoritaire et que l’Algérie cultive un immobilisme FLN hors de saison, le Maroc est devenu un interlocuteur influent et écouté. Il est de l’intérêt de la France de lui reconnaître ce statut de puissance régionale et d’envisager une entente et une alliance refondées avec lui.

Car, et c’est le dernier point, cette réactivation de la relation franco-marocaine se fait dans un contexte géopolitique global inquiétant. Dans un monde instable et fracturé, un monde qui craque, dans lequel les appétits ne se cachent plus et la guerre entre États a fait son retour, la France a besoin d’alliés. Le camp occidental a besoin d’alliés. Les puissances qui nous sont hostiles sont à l’œuvre partout dans le monde. Il ne faut pas voir les théâtres déconnectés les uns des autres.

Ainsi, la Russie, qui a ouvert un front principal en Ukraine, est déjà bien implantée en Méditerranée orientale (Syrie) où elle entretient de bonnes relations avec l’Iran. C’est peu dire qu’elle s’y montre hostile à Israël (elle vient de qualifier « d’assassinat politique tout à fait inacceptable » la mort d’Ismaïl Haniyeh, chef politique du mouvement terroriste Hamas, à Téhéran). Mais le déploiement militaire russe menace aussi le bassin occidental de la Méditerranée, tout comme le Sud sahélo-saharien. Voisine de la Libye, la Tunisie connait une situation difficile, susceptible d’être exploitée et est déjà l’objet d’attentions croissantes de Moscou. Quant à l’Algérie, sa vieille connivence idéologique socialiste et le fait qu’elle soit l’un des principaux clients de son industrie militaire font d’elle un partenaire de confiance pour la Russie.

Dans ce contexte, le rapprochement avec le Maroc était nécessaire. La reconnaissance du plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental par la France, après l’Espagne et l’Allemagne, était un attendu par Rabat. A charge maintenant pour les deux pays de donner substance et pérennité à l’alliance retrouvée.