Face au recul de la natalité, « la priorité est de rétablir la confiance des Français dans la politique familiale »

Gérard-François Dumont, professeur émérite de l’Université de la Sorbonne, directeur de la revue Population et avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

2 août 2024 • Analyse •


Devant la nouvelle chute de 2,4 % des naissances en France au premier semestre, le démographe Gérard-François Dumont alerte : « Alors qu’il y a dix ans, la fécondité y était 25 % plus élevée que la moyenne européenne, la France est en train de perdre cet atout. » Selon lui pour inverser la tendance, il faut modifier la politique familiale.


Les naissances au premier semestre dans l’Hexagone ont reculé de 2,4 % par rapport à la même période de 2023. La France est-elle en train d’atteindre la cote d’alerte ?

Au vu de son évolution démographique actuelle, la France risque de très vite compter plus de décès que de naissances. Alors qu’il y a dix ans, la fécondité y était 25 % plus élevée que la moyenne européenne, elle est en train de perdre cet atout.

Les conséquences pour l’économie française sont importantes. A court terme, cela signifie par exemple que les familles sont moins incitées à améliorer leur situation professionnelle pour satisfaire les besoins de leurs enfants. Cela veut aussi dire que les collectivités territoriales sont moins stimulées pour déployer de meilleures offres pour la scolarité, le sport ou la culture des enfants. Sur le plus long terme, cette chute des naissances va fragiliser notre modèle social en diminuant la population active et donc la production de richesses. Enfin dernière conséquence, de nature géopolitique, le poids relatif de la France en Europe pourrait décliner.

Comment expliquez-vous ce déclin des naissances ?

Les raisons sont multiples. Nous vivons une période où l’idéologie malthusienne est redevenue très prégnante. En 2021, devant le rebond des naissances, certains ont cru à un redémarrage de la natalité. En réalité, ce n’était qu’un phénomène conjoncturel reflétant le report des projets de maternité pendant la pandémie de Covid.

La raison centrale de la baisse de la natalité, c’est qu’elle a été inéluctablement enclenchée par les mesures négatives prises sur la politique familiale au milieu des années 2010 et accentuées depuis.

L’année 2014 représente, selon vous, un point d’inflexion…

Tout à fait. Les coups de rabot sous le quinquennat de François Hollande ont entraîné, comme je l’avais annoncé, une baisse de l’indice de fécondité. Qu’il s’agisse des prestations familiales, de la politique fiscale ou de la politique du logement, tout est allé dans un sens négatif. Depuis, les Français n’ont plus confiance dans la politique familiale.

A cela, il faut ajouter l’insuffisance des structures d’accueil de la petite enfance permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Handicapées par des moyens financiers incertains, les collectivités territoriales n’ont pas ouvert autant de crèches et de relais assistantes maternelles que ce qui était prévu.

Ce recul de la natalité dans l’Hexagone ne s’inscrit-il pas dans un mouvement général de baisse ? Dans de nombreux pays développés, le taux de fécondité est plus bas qu’en France…

En réalité, l’évolution démographique dans les pays développés est très fragmentée, et seul un examen pays par pays permet de comprendre les évolutions spécifiques de chacun. Les politiques publiques comme les comportements culturels différenciés, par exemple dans la plus ou moins grande acceptation du retour au travail des jeunes mères ou des naissances hors mariage, engendrent selon les pays des niveaux de fécondité variés et variables dans le temps. L’évolution des courbes de la fécondité diffère donc selon les pays occidentaux sous l’effet de facteurs propres à chaque pays.

Que faut-il faire pour enrayer la tendance dans l’Hexagone ?

La priorité est de rétablir la confiance des Français dans la politique familiale. Pour cela, il faut jouer sur tout l’éventail des mesures susceptibles de favoriser un libre choix du nombre de naissances. Il faut en particulier revenir à l’universalité des allocations familiales et à une égalité fiscale en supprimant le plafonnement du quotient familial.

Les enquêtes montrent que le désir d’enfants des Françaises n’est pas comblé. Il est de près de 2,3 enfants, alors que l’indice de fécondité réel est tombé sous les 1,7 l’an dernier.

En début d’année, Emmanuel Macron a lancé le « réarmement démographique » du pays avec pour principales mesures un plan pour lutter contre l’infertilité et un « congé de naissance ». Qu’en pensez-vous ?

Le plan contre l’infertilité est éminemment souhaitable mais ne peut avoir que de maigres effets sur la natalité. S’agissant du congé de naissance, on n’en connaît pas encore les contours. Mais dans sa version actuelle, il a fortement découragé les femmes à s’en saisir en raison d’une durée trop courte et d’une rémunération trop faible.