Caméras algorithmiques · Avec ces outils de contrôle, l’État veut regagner une autorité qui lui échappe

Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

27 novembre 2024 • Analyse •


Alors que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a rendu, ce 19 novembre, un avis sur l’utilisation des caméras « algorithmiques », Cyrille Dalmont, coauteur de la note La grande parade continue : socialisme mental et extension sans fin du domaine de l’État, explique en quoi cette extension en matière de sécurité révèle un affaiblissement paradoxal de l’État, et a des conséquences désastreuses sur les libertés publiques.


Ce 19 novembre, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a publié un avis attendu sur l’utilisation des caméras « augmentées » ou « algorithmiques » dans l’espace public, autrement dit la reconnaissance faciale et l’analyse automatisée des images (comportements, bagages suspects, présence d’armes, démarche, etc.).

Initialement déployées à titre expérimental lors des jeux Olympiques, ces technologies sont désormais appelées à se généraliser sous la pression des demandes de dérogations, transformant une exception temporaire en un outil permanent de surveillance. Présentées comme une avancée nécessaire pour garantir la sécurité collective, elles posent pourtant des questions majeures sur le respect des libertés fondamentales et de l’extension sans fin du domaine de l’État qui se jouent ici.

Surenchère normative et technologique

Cette évolution s’inscrit dans une dynamique beaucoup plus large, dans laquelle l’État cherche à masquer son impuissance réelle par une surenchère normative et technologique. En multipliant les outils de contrôle, il espère regagner une autorité qui lui échappe de plus en plus. Mais cette stratégie ne trompe plus personne : un État omniprésent mais incapable ne peut être perçu que comme un État faible.

Quatre chiffres suffisent à illustrer l’ampleur de cette dérive. Le Code pénal compte aujourd’hui près de 16 000 articles d’incrimination, reflet d’une inflation législative incontrôlée. Depuis 1986, plus de cinquante lois et décrets ont été adoptés pour lutter contre l’insécurité et le terrorisme, sans que l’on puisse qualifier les résultats de probants.

Dans le même temps, trente lois ont visé les médias et les réseaux sociaux, illustrant une volonté croissante de contrôler l’expression publique. Enfin, la France a connu quatre états d’urgence en seulement trente-cinq ans (1985, 2005, 2015-2017, 2020-2021), chaque crise devenant prétexte à de nouvelles restrictions des libertés publiques et des libertés fondamentales.

Cette accumulation de normes n’est pas neutre. Elle traduit une incapacité chronique à appliquer efficacement les lois déjà existantes. À quoi bon légiférer davantage si l’État échoue à faire respecter les règles en vigueur ? Pire encore, cette prolifération normative conduit à un renversement des valeurs : les citoyens respectueux des lois subissent des contrôles toujours plus tatillons tandis que les délinquants et criminels, protégés par une culture de l’excuse, échappent trop souvent aux sanctions.

Une illusion d’autorité

Winston Churchill avait ironisé sur le paradoxe français : « En France, tout est permis, même ce qui est interdit ». Aujourd’hui, ce trait d’humour prend un tour tragique. L’État, incapable de faire respecter ses propres règles, cherche à se donner l’illusion d’autorité en empilant les dispositifs de contrôle les uns sur les autres. Cette frénésie législative n’a que peu d’effet sur la délinquance mais elle détruit norme après norme la confiance des citoyens dans nos institutions : 70 % des Français déclarent ne plus avoir confiance en la politique. Peut-on les blâmer ? Chaque nouvelle loi, chaque dispositif sécuritaire, apparaît comme une tentative désespérée de compenser un effondrement structurel.

Les caméras algorithmiques en sont une parfaite illustration. Sous prétexte de détecter les « comportements suspects » ou de fluidifier la gestion des foules, elles instaurent une surveillance permanente et généralisée de l’espace public. Mais à qui profitent réellement ces outils ? Certainement pas aux citoyens respectueux des lois, qui voient leurs moindres mouvements scrutés. Les délinquants, eux, continuent d’échapper à ces dispositifs grâce à leur mépris des règles et à l’incapacité de l’État à agir une fois qu’ils sont identifiés.

Une privation des libertés

Au-delà de la surveillance, cette dynamique s’accompagne d’un contrôle accru des discours publics. Sous couvert de lutter contre les « discours de haine » ou la désinformation, des lois comme la loi Avia (contre les contenus haineux sur Internet, 2020) ou la loi SREN (Loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique) sont des prétextes pour encadrer, voire museler, l’expression publique.

Cette dynamique, sous couvert de modération, prive les citoyens d’une part essentielle de leur liberté d’expression et les prive de toute capacité à décrire le réel, sur les réseaux sociaux en particulier : insécurité, violences urbaines, agressions gratuites, narcotrafic, islamisme rampant… En cherchant à masquer les problèmes qu’il ne parvient pas à résoudre, l’État s’éloigne toujours plus des citoyens.

Ce grignotage progressif des libertés ne résout rien. Bien au contraire, il alimente une illusion d’ordre et d’efficacité, masquant une réalité où l’État, par son inertie et ses priorités inversées, semble protéger davantage les agresseurs que leurs victimes. Clemenceau avait raison : « l’autorité de l’État repose sur la confiance qu’il inspire, non sur la contrainte qu’il impose ».

Pour sortir de cette impasse, l’État doit abandonner sa course folle à la norme. L’autorité ne se décrète pas par des lois toujours plus nombreuses, mais se construit sur une application rigoureuse et équitable des règles existantes. Il est temps de rompre avec la culture de l’excuse et de recentrer l’action publique sur la responsabilisation des individus.

Protéger la société

La création d’un observatoire indépendant de la délinquance et de l’application des peines serait un premier pas. En apportant une transparence sur l’efficacité des dispositifs sécuritaires, cet outil permettrait de rétablir un lien de confiance avec les citoyens. Parallèlement, il est essentiel de valoriser la responsabilité individuelle et de mettre un terme au discours déculpabilisant qui dilue les fautes individuelles dans un prétendu déterminisme social.

Enfin, il faut réaffirmer que l’objectif premier de l’incarcération est de protéger la société et non de corriger les injustices sociales. Ce changement de paradigme, nécessaire au sein de la magistrature, est indispensable pour restaurer l’autorité de l’État et garantir les libertés publiques.

La multiplication des dispositifs sécuritaires et des lois restrictives ne restaurera pas l’autorité d’un État dont l’impuissance est devenue structurelle. Elle ne fera que creuser davantage le fossé entre une classe dirigeante aveuglée par ce qu’on pourrait qualifier de « socialisme mental » et des citoyens qui, chaque jour, voient leurs libertés reculer pendant que l’insécurité prospère. Enfermée dans ses propres illusions étatiques, la France s’abîme dans un cercle vicieux : plus elle légifère, moins elle agit ; plus elle surveille, moins elle protège. Il est temps de mettre fin à cette mécanique destructrice.