8 décembre 2024 • Analyse •
Une proposition de loi déposée au Sénat relative à la restitution d’un bien culturel à la République de Côte d’Ivoire interroge les historiens. Analyse de Julien Volper qui s’exprime ici à titre personnel.
En février 2024, le Conseil d’État a émis un avis négatif sur plusieurs aspects du projet de loi concernant la restitution de biens culturels ayant fait l’objet d’appropriations illicites entre 1815 et 1972. Ainsi, aux yeux des juristes, la mention dans ledit projet de restitutions (qui concerne principalement des objets dits « coloniaux ») justifiées au regard de la conduite des relations internationales et de la coopération culturelle ne permettent pas d’envisager une dérogation au caractère inaliénable des biens culturels conservés dans les musées nationaux.
Or, il existe un tambour à fente ivoirien des collections du musée du Quai Branly qui aurait été le premier objet concerné par cette loi si elle avait été adoptée. De fait, c’est depuis 2019 que l’exécutif français a mis la charrue avant les bœufs en promettant cette pièce à la Côte d’Ivoire. Il est vrai que le président de la République a fait des restitutions l’un des fers de lance de sa politique africaine, pour des résultats par ailleurs assez mitigés.
On précisera ici que l’histoire de ce tambour est bien plus compliquée que ce que divers médias relatent à son sujet. Les interrogations d’historiens sur les circonstances de sa récupération par les autorités françaises sont nombreuses et, hélas, peu mises en avant dans la presse.
Cependant, pour ne pas contrarier la volonté présidentielle, plusieurs solutions ont été trouvées afin de mener à bien cette affaire qui semble de première importance. La première émane de Rachida Dati, ministre de la Culture, qui a annoncé en novembre 2024 l’envoi du tambour en dépôt à long terme au musée des Civilisations de Côte d’Ivoire (Abidjan). On relèvera d’ailleurs que la rénovation prévue pour ce futur écrin – créé durant la période coloniale… – est en outre payée pour plus de la moitié par la France, via l’AFD.
Le recours à des dépôts à long terme comme moyen de contourner la loi sur le caractère inaliénable des collections nationales n’est pas un fait nouveau : ce qui ne le rend pas moins critiquable a minima sur la forme. Les présidents Mitterrand et Sarkozy y avaient eu recours, respectivement en 1993 et 2010, pour offrir à la Corée du Sud des manuscrits conservés à la BNF. Plus récemment, en 2020, c’est Emmanuel Macron qui utilisa ce procédé pour envoyer à Madagascar une couronne relevant des collections du musée des Invalides. Cette décision déclencha des critiques au niveau du Sénat.
Paradoxalement, c’est ce même Sénat qui s’est empressé de sécuriser la restitution camouflée de la ministre de la Culture en proposant une loi d’exception visant à désinscrire le tambour ivoirien des collections nationales. Une loi de ce type fut utilisée en décembre 2020 pour vingt-sept objets des collections du musée du Quai Branly et du musée des Invalides destinés au Sénégal et au Bénin. À l’époque, cette loi n’avait pas été votée en deuxième lecture par le Sénat… qui propose maintenant en 2024 une loi du même type pour un autre objet. Comprenne qui pourra.
Ce qui est sûr, c’est que cette loi qui repose plus sur la morale que sur le droit constitue un clou de plus dans le cercueil de l’inaliénabilité des collections nationales… lesquelles ne sont pas, rappelons-le, des collections présidentielles.