Septembre 2008 • Dossier spécial •
Une à une, les notes s’additionnent… Et, stupéfaction, Bernard Kouchner décroche la première place. Le ministre des Affaires étrangères, qui caracole en tête des classements de popularité, est un habitué des podiums, certes, mais dans la catégorie bon élève du gouvernement, gestionnaire rigoureux, on a plus souvent évoqué les noms de Xavier Bertrand ou de Xavier Darcos. Si le patron du Quai d’Orsay obtient la place d’excellence, c’est parce qu’il a vraiment joué le jeu en matière de modernisation de son administration.
Mais pourquoi noter les ministres ? C’était, au départ, un souhait du président de la République, qui a toujours peur que la réforme s’enlise dans le conformisme. D’où cette volonté d’inculquer aux politiques une culture du résultat – voire du rendement. D’ailleurs, du temps où il était à l’Intérieur, il avait mis en place une batterie d’indicateurs : taux d’élucidation des délits, nombre d’atteintes aux biens, de violences aux personnes… Durant la campagne électorale, il a fait de cette volonté de mesurer l’effort accompli, « de rendre des comptes », une promesse de campagne. Et au lendemain de son élection, il avait annoncé que les « ministres seraient évalués chaque année au regard de la lettre de mission qu’ils auront reçue ».
« Grand oral » chez Fillon
Cette promesse-là a été enterrée. Certes, le Premier ministre vient de recevoir, un à un, chacun de ses ministres. « Pour faire le point ». L’examen de passage a porté sur deux matières : les promesses réalisées et la RGPP, les deux critères retenus par Challenges. Les ministres se sont préparés à l’exercice comme s’il s’agissait d’un grand oral ou d’une soutenance de thèse. Xavier Darcos est arrivé avec une présentation PowerPoint. Rachida Dati était munie de fiches avec des éléments chiffrés sur les peines planchers, la réforme de la carte judicaire. Christine Albanel avait, elle aussi, ses fiches. De manière à appuyer sa démonstration, qu’il s’agisse de l’échec de la gratuité des musées ou du déménagement de la Direction du mobilier national en province, jugé absurde.
« Cet exercice permet au Premier ministre d’avoir une bonne photographie des réformes à la veille du Budget, un état de la France administrative », confie un proche de Fillon. Une bonne photographie mais pas extrêmement précise, car l’ambition, à l’origine, était tout autre : évaluer les ministres à l’aide de critères inspirés du privé. Et cette initiative a tourné au fiasco.
Pour évaluer, il faut des objectifs, chiffrés si possible. C’était la raison d’être des lettres de mission. Un travail de titan, sachant que certaines d’entre elles comportaient plus de40 mesures. Après une première vague de neuf lettres, l’exécutif, très vite absorbé par des tâches plus urgentes, a abandonné l’exercice.
Autre difficulté : comment évaluer ? Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, a demandé au cabinet de conseil Mars & Co de réfléchir à une méthodologie. Un vrai casse-tête ! Il a vite délégué cette tâche à François Fillon. Plutôt désoeuvré, ce dernier, soucieux d’apparaître comme le greffier scrupuleux des réformes, s’est donc attelé, avec le cabinet Mars, à élaborer une liste d’« indicateurs de résultats ». Et lors du Conseil des ministres du 8 novembre 2007, il annonçait la création d’un nouvel instrument de mesure, un tableau de bord. Léger malaise autour de la table. Les ministres ne voyaient pas d’un très bon oeil l’idée d’être soumis à l’appréciation d’un cabinet privé, et encore moins d’avoir à rendre compte à Fillon !
Et puis, le 4 janvier 2008, un article du Monde, titré « M. Fillon évalue ses ministres avec des consultants privés », a mis le feu aux poudres. Livrés sans explications, les critères retenus sont apparus dans leur crudité. La ministre de la Culture était censée être jugée au nombre d’entrées dans les musées gratuits ; celui de l’Immigration, au nombre de reconduites à la frontière ; le chef de la diplomatie, au nombre de ministres présents aux réunions à Bruxelles…
L’énumération frisait l’absurde. L’opposition a immédiatement crié au scandale. Pierre Moscovici s’est ainsi ému de ce « gadget médiatique dangereux qui porte atteinte à la responsabilité du gouvernement devant le Parlement ». Amnesty International s’est indigné que le nombre des reconduites à la frontière soit pris en compte dans les critères d’évaluation du ministre de l’Immigration.
Dossier épineux
Matignon a tenté de se défendre en expliquant qu’il s’agissait d’« un outil de pilotage » et pas « d’une notation personnelle des ministres ». Mais, compte tenu de la bronca, à quelques semaines des municipales, Fillon a plié. Refilant la patate chaude à Eric Besson. N’était-il pas naturel que le secrétaire d’Etat chargé de l’Evaluation des politiques publiques hérite de l’outil de notation des ministres ? Scandale à nouveau : un secrétaire d’Etat, venu de la gauche, chargé de noter les barons du sarkozysme? On n’a plus jamais entendu parler de l’évaluation des ministres. Les premiers tableaux élaborés par Mars sont enfouis dans un tiroir à Bercy. Et Dominique Mars, le fondateur du cabinet, préfère ne pas revenir sur le sujet. Challenges a relevé le défi. A partir de critères basiques et aidé par l’Institut Thomas More, il a cherché à établir où en étaient les ministres sur le plan des réformes et de la réorganisation de leurs administrations.