10 janvier 2025 • Analyse •
La consommation d’énergie fossile dans le monde ne cesse de croître en raison, entre autres, d’un accès plus grand à celle-ci du fait du recul de la pauvreté, d’une classe moyenne en croissance dans les pays émergents, du déploiement considérable des nouvelles technologies aux besoins énergétiques énormes et de l’expansion soutenue des moyens de déplacement terrestre, maritime et aérien qui ont largement recours à ce type de combustible. C’est dans un tel contexte que l’Union européenne s’est fixé comme objectif, pour réduire rapidement le niveau d’émissions de gaz à effet de serre (GES), de remplacer à marche forcée les énergies fossiles par celles dites renouvelables (essentiellement, éoliennes et photovoltaïques, à production intermittente d’électricité) via une transition énergétique visant le tout renouvelable d’ici à 2050.
L’UE a-t-elle pris la bonne décision alors que, malgré ses efforts, la consommation mondiale de pétrole, charbon et gaz naturel a atteint, en 2023, un niveau record de 81,5% du mix énergétique (1) ? La plupart des pays dans le monde (dont tous les émergents), plus préoccupés d’assurer leur prospérité économique que de réduire leurs émissions de GES, continuent de privilégier la consommation de ces combustibles fossiles disposant ainsi d’une énergie abondante et disponible à tout moment. Cette approche leur donne un avantage économique indiscutable, comme l’explique la présente analyse.
Une transition vers un autre mix énergétique, quel qu’il soit, est un processus long et compliqué. Toutes les transitions précédentes ont pris de nombreuses décennies. En particulier, quel devrait donc être le mix électrique d’ici à et au-delà de 2050, en Europe, pour satisfaire la demande du marché, à des prix compétitifs ? Pour tenter de répondre à cette question, analysons les différentes composantes de ce système.
L’électricité éolienne et le photovoltaïque industriel
En Europe, l’éolien et le photovoltaïque, à ce jour, de loin les principales sources d’électricité renouvelable, est incapable d’assurer, d’ici à 2050, la sécurité de l’approvisionnement électrique requise par les économies développées, sans émission de GES (comme expliqué ci-après). Un stockage d’énergie est indispensable pour compenser son intermittence (après conversion de cette dernière en électricité). Le stockage par centrales de pompage est limité sur le territoire de l’UE, vu le manque de dénivellements requis.
Quant aux batteries, elles ne pourront pas non plus contribuer à une véritable résilience étant donné les étendues considérables (2) qu’elles devraient occuper pour assurer le volume de stockage nécessaire à la compensation de l’intermittence des productions éolienne et photovoltaïque, ces dernières devant elles-mêmes couvrir des surfaces immenses pour remplacer les centrales thermiques, voire également nucléaires dans quelques pays. Il faut ajouter à ces handicaps leur coût et celui des métaux rares (qui rend l’UE dépendante de pays producteurs hostiles) nécessaires à leur fabrication.
En ce qui concerne le photovoltaïque, la Chine fabrique plus de 80% des panneaux solaires. Ayant construit des capacités de production sans aucun rapport avec la demande, les prix se sont effondrés et les entreprises chinoises enregistrent des pertes considérables. Pour survivre, elles ont décidé d’organiser un cartel sur le modèle de celui de l’OPEP, auquel trente des plus grandes entreprises du secteur ont décidé de participer. Ces dernières recevront des quotas de production pour 2025 en fonction de leurs parts de marché, de leurs capacités et de la demande prévue (3), ce qui confortera la domination de la Chine aux dépens, entre autres, de l’UE.
En tout état de cause, les centrales à gaz sont les seules sources d’électricité permettant de compenser, à elles seules, économiquement et en tout temps, l’intermittence du renouvelable intermittent, en particulier, lors de la pointe de consommation. En effet, la capacité des centrales hydrauliques est limitée sur le territoire européen et le stockage d’énergie par batteries est loin de pouvoir atteindre une capacité suffisante pour les raisons rappelées ci-dessus.
En outre, le développement des parcs éoliens requiert un renforcement des réseaux électriques, voire la construction de nouvelles lignes indispensables pour assurer partout la fourniture de courant électrique. Les investissements correspondants sont très onéreux et les travaux y relatifs prennent beaucoup de temps. Les retards considérables dans la construction des lignes de transport d’électricité sont loin d’être des exceptions (la boucle du Hainaut en Belgique, le réseau nord-sud en Allemagne, etc.). Il en va de même des parcs de batteries.
Bloomberg NEF a calculé que pour atteindre le net zéro carbone au niveau mondial en 2050, il faudrait investir 20 400 milliards de dollars dans l’amélioration et le développement des réseaux électriques, la part d’électricité dans la consommation d’énergie devant passer de 20 % aujourd’hui à au moins 70 %, sans tenir compte de la croissance économique en Asie et en Afrique. En outre, les quantités de métaux et terres rares seront considérablement plus élevées pour atteindre les objectifs du Pacte vert que pour le système énergétique hybride actuel et la demande de lithium, indispensable dans la fabrication de batteries, sera multipliée par quatorze d’ici à 2050, toujours selon Bloomberg.
D’autre part, une opposition locale aux installations de parcs éoliens ou photovoltaïques est toujours plus forte. Ce sont, en effet ceux qui pâtissent le plus des inconvénients et dommages que ces installations engendrent (empiètement sur des terres agricoles, déboisement, augmentation du prix des terrains, nuisances visuelles et sonores, etc.). Ils ont de plus en plus recours aux instances administratives et juridiques pour annuler les projets.
Quant aux projets de parcs éoliens en mer (offshore), ils connaissent également de sérieux déboires. Plusieurs d’entre eux sont même supprimés ou sur le point de l’être. Ainsi en est-il de treize projets le long des côtes de la Suède en mer Baltique, qui ont été annulés à cause de leur impact sur les capacités de défense du pays. Le permis de construction n’a pas été octroyé, car ces projets pourraient perturber les capteurs de la défense suédoise. L’entreprise norvégienne Equinor a annulé ses projets offshore en Espagne et au Portugal pour des raisons financières, les coûts étant devenus trop élevés. L’appel d’offres récent lancé par le Danemark pour un grand parc éolien en mer du nord n’a même reçu aucune marque d’intérêt. Oersted, un important développeur danois d’éoliennes en mer, n’a pas remis offre prétextant un retour sur investissement trop risqué, des taux d’intérêt trop élevés, une inflation croissante et une chaîne d’approvisionnement incertaine. Des investisseurs, pourtant favorables à ce type de production d’énergie, partagent ces arguments. Comme l’a récemment constaté le ministre danois de l’Énergie et du Climat, les circonstances ont changé. Il est temps de s’en rendre compte. La Belgique devrait tirer les mêmes conclusions en ce qui concerne l’investissement dans l’île énergétique princesse Elizabeth au large de la côte belge. Il s’élèverait à sept milliards d’euros, voire plus, au lieu des 2,2 milliards initialement prévus. Ce montant vient s’ajouter aux milliards nécessaires à l’achèvement du renforcement du réseau électrique sur terre.
N’est-il pas temps de mettre fin à la politique du « quoiqu’il en coûte » en faveur des énergies renouvelables ? En l’occurrence, les milliards économisés seraient plus utilement employés au développement des nouvelles technologies, à réaliser une réduction du déficit budgétaire, une mesure imposée par la Commission européenne, ainsi qu’à l’aide financière, promise depuis longtemps et toujours pas menée à son terme, aux secteurs de l’enseignement, des retraites, des hôpitaux, de la sécurité sociale, de l’agriculture, etc.
Dans de nombreux pays européens, dont les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, la Hongrie et l’Italie, l’opposition à la transition, et surtout à son coût, ne fait que croître. Au Royaume-Uni, devant l’envolée des prix de l’énergie, le Premier ministre a fait machine arrière sur les engagements de son parti et des précédents gouvernements en faveur d’une réduction rapide des émissions de GES. La difficulté de substituer dans des conditions économiques, sociales et politiques acceptables les carburants fossiles par des énergies « bas carbone » a été et est largement sous-estimée par les politiques et les médias. Les transitions énergétiques historiques ont pris de nombreuses décennies, voire des siècles.
L’électricité d’origine nucléaire
La production d’électricité d’origine nucléaire, longtemps contestée aux États-Unis et en Europe, connaît une renaissance. Les pays européens prolongent la vie de leurs réacteurs, les rénovent et en installent des nouveaux de troisième génération ou envisagent d’investir dans des petits réacteurs nucléaires, à l’exception notable de l’Allemagne et de l’Espagne, l’un ayant mis totalement fin à sa production nucléaire (l’Allemagne), l’autre étant en train de le faire (l’Espagne). Le cas de la Belgique est plus complexe. Cinq des sept réacteurs seront arrêtés d’ici à 2025. Les deux plus récents sont prolongés de dix ans et le seront peut-être de vingt ans. Il n’est pas prévu d’en installer de nouveaux de grande puissance. En revanche, de petits réacteurs (de capacité inférieure à 300 MW) ne sont pas exclus.
Se priver d’une énergie sûre, abondante et bon marché, est absurde – ce qu’a bien compris le gouvernement néerlandais qui prévoit la construction de six centrales nucléaires tandis qu’un seul est exploité actuellement.
Les grands réacteurs. La production d’électricité d’origine nucléaire a augmenté de 2,6% en 2023 par rapport à 2022 selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Les États-Unis sont de loin le premier producteur mondial d’électricité d’origine atomique (742,4 TWh en 2023) devant la Chine et la France. Plus des deux tiers des réacteurs ont moins de trente ans. Lors de la COP28, en décembre 2023, plus de vingt pays se sont engagés à tripler la capacité nucléaire mondiale en vue d’atteindre l’objectif zéro émission nette de CO2 d’ici à 2050.
La quatrième génération de réacteurs, particulièrement ceux à neutrons rapides, constitue un véritable saut technologique. Ils répondent aux préoccupations et besoins actuels de sûreté accrue, de durabilité, de non-prolifération de plutonium, de maîtrise des coûts d’exploitation, de réduction drastique de la consommation de combustible et de croissance soutenue de la demande globale d’électricité qu’il faut satisfaire, en tenant compte des critères de :
- sûreté, par la transmutation des actinides mineurs hautement radioactifs et par le recyclage des résidus nucléaires qui conduisent à une réduction drastique des déchets nucléaires ;
- de politique bas carbone, la génération électronucléaire n’émettant pas de GES ;
- de lutte contre la prolifération des produits radioactifs, par le recyclage du plutonium ;
- de compétitivité, par les innovations et une meilleure utilisation du combustible. Alors que les réacteurs thermiques (neutrons lents) brûlent 3 à 4 % de l’U-235, ceux à neutrons rapides sont à même de convertir l’U-238 (principal constituant du minerai d’uranium) en Pu-239 fissile, permettant ainsi le recyclage du combustible.
En outre, les métaux rares (qui n’existent dans la nature qu’en très faibles quantités, d’où leur qualificatif) n’interviennent pas dans la fabrication des réacteurs de génération actuelle et future, contrairement aux éoliennes et panneaux photovoltaïques.
Les petits réacteurs nucléaires. Actuellement, en raison, entre autres, du coût d’investissement élevé des réacteurs de grande puissance et de la nécessité de servir des réseaux électriques de faible capacité, une tendance se dessine pour des unités plus simples et de plus faibles puissances. Elles peuvent être installées indépendamment ou en vue de constituer progressivement un ensemble de capacité plus élevée par additions successives d’unités supplémentaires.
De tels réacteurs de petite taille (moins de 300 MW) sont caractérisés par :
- une complexité réduite et une architecture compacte permettant une fabrication modulaire et un assemblage en usine ou dans un environnement industriel, ce qui améliore la qualité et l’efficacité de la construction et en réduit le coût ;
- un système de sûreté passive, permettant l’évacuation de chaleur du cœur du réacteur, en cas d’accident, sans intervention humaine et sans l’aide de pompage de liquide de refroidissement ;
- des quantités plus faibles de déchets radioactifs ;
- la possibilité d’enterrer le réacteur, assurant ainsi une meilleure protection contre les risques naturels (sismiques, tsunamis, etc.) ou humains (impact d’avion, par exemple) ;
- le concept modulaire et la petite taille permettent de rassembler plusieurs unités sur un même site, voire utiliser le terrain d’une centrale à charbon définitivement arrêtée, par exemple, pour y installer une ou plusieurs unités SMR (small modular reactor) ;
- une plus grande facilité de démantèlement ou de mise hors service du réacteur, en fin de vie ;
- une durée de construction nettement raccourcie ;
- la possibilité de satisfaire la demande d’électricité dans des marchés étroits, dans des endroits retirés et dans des régions pourvues de réseaux électriques de faible puissance.
La fusion nucléaire. Jusqu’à présent et malgré des décennies de recherche, il n’y a pas encore eu de progrès décisifs, notamment dans la maîtrise des processus physico-chimiques, de confinement du plasma et du contrôle de la radioactivité de cette technologie qui nous libèrerait des contraintes de disponibilité de combustibles et/ou de matériaux rares indispensables à la production conventionnelle de chaleur.
En résumé, sur base des arguments développés ci-dessus, la production d’électricité verte, essentiellement éolienne et photovoltaïque, ne peut assurer la demande de consommation sans centrales à gaz pour pallier son intermittence. Il s’avère que les centrales à gaz offrent, en effet, la meilleure solution pour assurer cette fonction grâce à leur disponibilité permettant, à tout moment, la fourniture d’électricité requise, à un prix raisonnable. Les gisements existants de gaz (conventionnels et de roche-mère) dans le monde sont loin d’être épuisés, de nouveaux gisements ont été récemment découverts et de grandes régions n’ont pas encore été explorées.
En revanche, le recours au stockage d’énergie présente des lacunes majeures. Il peut être réalisé principalement par les centrales de pompage/turbinage ou par des batteries (le stockage d’hydrogène en est encore au stade expérimental et est extrêmement cher). La capacité des premières est limitée par le relief adéquat du terrain, les secondes par les surfaces énormes requises pour compenser l’intermittence, aux dépens de prairies, de terres agricoles et de bois ou de forêts. En outre, les métaux et terres rares, très chers, nécessaires à leur fabrication, sont un sérieux handicap, rendant l’UE dépendante de pays producteurs hostiles.
En toute logique, il faut plafonner la part de l’électricité renouvelable intermittente dans le mix électrique : 30 % seraient une limite raisonnable.
Des recherches sur des combustibles alternatifs verts tels que les macro- et microalgues et l’ammoniac sont en cours. La géothermie est une autre source d’énergie renouvelable, mais n’a joué jusqu’ici qu’un rôle fort limité à une échelle globale.
La production d’électricité d’origine nucléaire est d’autant plus prometteuse que sa technologie est en progression constante : SMR préfabriqués en usine (ce qui augmente leur qualité) et les réacteurs de quatrième génération, surtout ceux à neutrons rapides. Une augmentation importante de sa part dans le mix électrique européen est indispensable.
Notes •
(1) « 2023, année de tous les records (et ce n’est globalement pas une bonne nouvelle…) », Connaissance des Énergies, 21 juin 2024, disponible ici.
(2) Aux dépens des pâturages, des terres agricoles et par déboisement, ce qui est une gageure écologique.
(3) Les producteurs chinois de panneaux solaires créent un cartel, Transitions et Énergies, 12 décembre 2024.