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10 décembre 2024 • Analyse •
Le président Macron a annoncé dimanche un investissement de 109 milliards d’euros, « l’équivalent pour la France de ce que les États-Unis ont annoncé avec Stargate ». Mais quid de la souveraineté française, puisqu’il s’agit de capitaux majoritairement étrangers ?
En réponse aux annonces de Donald Trump au sujet du plan « Stargate », un programme massif de 500 milliards de dollars destiné à asseoir la domination américaine sur l’intelligence artificielle, Emmanuel Macron a voulu donner le change en annonçant ce 9 février un investissement de 109 milliards d’euros pour faire de la France un leader européen du secteur.
Le montant est impressionnant, mais derrière la déclaration tapageuse, la réalité est tout autre. Quand « Stargate » est un projet pensé, financé et exécuté par des acteurs américains, au service exclusif des intérêts stratégiques des États-Unis, l’initiative annoncée par le président Macron repose sur des capitaux étrangers – notamment émiratis, canadiens et chinois, avec des participations indirectes de certains fonds américains.
Parmi les investisseurs annoncés, on trouve le fonds canadien Brookfield qui injecte vingt milliards d’euros pour la construction d’un centre de données à Cambrai. Plus préoccupant, les Émirats arabes unis financeront un data center d’une capacité allant jusqu’à un gigawatt, qui fera partie d’un « campus » dédié à l’IA, présenté comme le plus grand d’Europe. Cet investissement, estimé entre trente et cinquante milliards d’euros, a été officialisé dans le cadre d’un accord signé en présence d’Emmanuel Macron et de Mohamed ben Zayed Al-Nahyane. Le président français a précisé que des investisseurs américains seraient également impliqués, tandis que des entreprises françaises comme Illiad, Orange et Thales n’interviendront que marginalement (pour moins de 10 %), loin derrière les financeurs étrangers.
Vulnérabilité
Qui contrôlera réellement ces infrastructures ? Quelles garanties existent pour que les données et technologies développées en France ne tombent pas sous influence étrangère ? Ces questions restent sans réponse, comme ce fut le cas lors de la création en 2019 du Health Data Hub, dans lequel les données de santé des Français furent confiées à Microsoft.
Les implications stratégiques de cette dépendance sont lourdes. En s’appuyant sur des capitaux étrangers, la France risque de perdre toute autonomie dans la gestion de ses infrastructures critiques. Le principal danger réside dans les vulnérabilités en matière de cybersécurité et d’espionnage industriel. En permettant à des investisseurs étrangers de financer et, potentiellement, de contrôler des infrastructures numériques stratégiques, la France s’expose à des risques accrus d’intrusions, de détournement de technologies et d’ingérences économiques. La dépendance technologique s’accompagne nécessairement d’une exposition accrue aux cyberattaques et à la perte de contrôle sur des innovations essentielles au futur de l’industrie et de la défense françaises.
Un exemple frappant de cette vulnérabilité est la cyberattaque subie par France Travail (anciennement Pôle emploi) en 2023, qui a compromis les données personnelles de millions de demandeurs d’emploi. Cet événement a mis en lumière les failles de la sécurité numérique de l’État et sa dépendance à des solutions étrangères puisqu’à la suite de cette attaque, France Travail a signé un contrat avec l’entreprise américaine Palantir (fondée et financée par la CIA) pour la gestion et l’hébergement de ses données. Si un tel schéma venait à se répéter dans le domaine de l’IA, les conséquences seraient encore plus lourdes pour l’économie et la souveraineté numérique française.
Cette dépendance, cette impuissance sous perfusion étrangère, naît du fait qu’au-delà des effets d’annonce, la France ne dispose d’aucune stratégie industrielle cohérente pour l’IA. Contrairement aux États-Unis qui, avec « Stargate », mettent en œuvre une approche intégrée mêlant financement public, soutien aux entreprises stratégiques et protection des infrastructures critiques, la France se contente d’attirer des investissements étrangers sans vision, ni ambition à long terme. Le plan « made in USA » est conçu comme un levier de puissance, combinant restrictions sur les exportations technologiques, sécurisation des chaînes d’approvisionnement et soutien massif à l’industrie numérique américaine. La France, elle, mise sur des capitaux étrangers sans en mesurer les conséquences stratégiques.
Rivalités mondiales
Cette démarche s’inscrit dans la droite ligne des errements européens, où l’incapacité à structurer un écosystème numérique viable est systématiquement masquée par des discours creux sur la « souveraineté européenne » et des annonces sans suivi. Emmanuel Macron privilégie la communication pour masquer l’impéritie de sa politique numérique depuis 2017, incapable d’inscrire la France dans une dynamique de puissance industrielle. Les règles européennes de la concurrence interdisent toute politique d’aide d’État ambitieuse, empêchant la constitution de géants technologiques européens et sont un repoussoir pour les entreprises technologiques étrangères dont nous aurions besoin, comme le démontre le refus de TSMC, leader mondial des microprocesseurs de s’installer en Europe, alors qu’il multiplie les investissements aux USA.
Pire, loin d’être une avancée vers la souveraineté numérique, l’annonce d’Emmanuel Macron acte une dépendance accrue aux capitaux étrangers. Comment parler d’indépendance quand les infrastructures essentielles du pays sont financées et potentiellement contrôlées par des acteurs extérieurs ? Ce qui aurait pu être l’acte fondateur d’une industrie française de l’IA se transforme en un exercice de dépendance orchestrée, dans lequel le mot « souveraineté » n’est qu’un artifice rhétorique.
Si la France voulait réellement peser dans le secteur numérique et l’IA, elle devrait commencer par préserver son indépendance numérique et bâtir une stratégie industrielle souveraine, articulée autour d’un fonds souverain dédié à l’IA, d’une politique d’aides d’État ambitieuse pour soutenir ses propres entreprises et d’un verrouillage strict des investissements étrangers dans les infrastructures critiques. Sans ces mesures essentielles, la France continuera d’être un simple marché ouvert aux puissances étrangères, incapable de rivaliser sur la scène mondiale et d’assurer son avenir technologique.