
23 avril 2025 • Analyse •
Les agriculteurs sont accablés par la surtransposition des normes européennes et le dédain de gouvernants, qui devraient pourtant œuvrer à faire de l’agriculture française un champion mondial.
Depuis que les Jeunes agriculteurs (JA) ont symboliquement retourné les panneaux d’entrée de ville pour dire que la France marche sur la tête, que s’est-il vraiment passé ? Quelques caméras, quelques promesses… puis le silence. Un apaisement de surface. Et une loi d’orientation agricole votée dans l’urgence, sans souffle ni vision. Une collection de dérogations pour sauver les meubles, alors que les agriculteurs réclamaient autre chose : pas un régime d’exception, mais un régime de compréhension. Pas des aménagements bricolés, mais une politique claire, juste, durable.
La vérité, c’est que l’agriculture française continue de s’enfoncer. Et que la République reste, pour l’instant, sourde à ses appels. Un agriculteur se suicide tous les deux jours. Et que fait-on ? On détourne les yeux. On théorise, on relativise, on promet… mais on n’agit pas. Ce silence, cette lenteur, cette distance : c’est une forme de violence. Une société qui laisse ses paysans sombrer dans la solitude, l’angoisse et parfois le désespoir n’est pas une société en bonne santé.
Nos agriculteurs ne demandent pas la charité. Ils demandent simplement de pouvoir vivre de leur travail, de transmettre leur ferme sans honte ni peur, d’avoir une place dans la société au lieu d’être pointés du doigt, de participer à la grandeur de la France. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse : on les accable de normes, on les noie sous les contrôles, on leur demande d’être exemplaires sur tout… tout en important à bas prix des produits qu’ils n’ont pas le droit de produire eux-mêmes. Qui peut encore justifier cela ? Quelle logique ? Quelle morale ?
À cela s’ajoute un autre mal, plus sournois : la bureaucratie. Combien d’heures passées à remplir des formulaires, répondre à des courriers, corriger des erreurs administratives ? Combien de journées volées aux champs pour cocher des cases ? L’administration, au lieu de les accompagner, les épuise. Elle leur vole ce qu’ils ont de plus précieux : leur temps, leur énergie, leur dignité.
Le malaise est profond. Derrière chaque tracteur, il y a une vie d’engagement, de fatigue, de solitude. Des heures de travail sans fin. Des revenus qui empêchent de partir en vacances, parfois même de se soigner. Et au bout, des retraites au niveau du RSA. C’est cela, aujourd’hui, la réalité du monde agricole pour des milliers d’hommes et de femmes. Et c’est insupportable.
Pourtant, ils tiennent. Ils continuent à nourrir la France. Ils entretiennent les paysages, irriguent l’économie des territoires, innovent, s’adaptent. Trop souvent oubliée, l’agriculture reste la deuxième contributrice à notre balance commerciale, juste derrière l’aéronautique. Elle est un pilier stratégique de notre souveraineté. Et pourtant, on l’affaiblit, on l’oublie, on la stigmatise, au nom d’une transition écologique qui se fait parfois contre eux.
Mais il n’y aura pas de transition sans les agriculteurs. Les sols agricoles sont des puits de carbone naturels. Les agriculteurs peuvent être les premiers acteurs du changement à condition qu’on les soutienne, qu’on les équipe, qu’on les respecte. Il faut cesser de les considérer comme des obstacles : ils sont une partie essentielle de la solution.
Alors, que veulent les agriculteurs ? Ils veulent du sens. Du respect. Des prix justes. Une réforme réelle de l’assurance climatique. Des politiques cohérentes, pas des injonctions contradictoires. Ils veulent pouvoir regarder leurs enfants dans les yeux et leur dire : « Ce métier, tu peux en vivre. Tu peux en être fier. » Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La relève s’éloigne. Et si nous n’inversons pas rapidement la tendance, nous ne produirons plus la majorité de ce que nous consommons. Nous dépendrons d’autres pays, d’autres règles, d’autres modèles. Ce sera un choix. Ou plutôt, une lâcheté.
Ceux qui nous nourrissent méritent mieux que des slogans. Ils méritent du respect, de la clarté, et surtout des actes. Pendant que nos gouvernements empilent les normes et distribuent des dérogations, d’autres – comme la Russie ou le Brésil – font de l’agriculture le cœur de leur politique nationale et de leur stratégie géopolitique. Les premiers pensent aux prochaines élections ; les seconds, aux prochaines générations. Voilà toute la différence.
Pour redonner à notre agriculture l’avenir qu’elle mérite, trois chantiers prioritaires s’imposent. Corriger les surtranspositions du droit européen, d’abord, à travers une loi générale rectificative supprimant les 137 surtranspositions françaises du droit européen, qui créent des distorsions de concurrence insupportables pour nos paysans. Il n’y a pas de marché commun sans conditions de production communes. Il n’y a pas de Politique agricole commune avec des règlements différents !
Revaloriser les revenus agricoles, ensuite. Les solutions sont connues : réduire la bureaucratie pour rendre du temps aux agriculteurs ; transférer une part des charges sociales agricoles vers la valeur ajoutée ; protéger les exploitations contre les aléas climatiques et économiques ; moderniser le statut de l’entreprise agricole pour reconnaître pleinement les agriculteurs comme de véritables entrepreneurs ruraux.
Enfin, faire de l’agriculture française un champion mondial. Défendre une vraie politique de conquête, en Europe et dans le monde, pour faire de notre agriculture et de notre industrie agroalimentaire des acteurs incontournables de la géopolitique internationale. À l’heure de la tech et de l’intelligence artificielle, il est urgent de comprendre qu’il n’y a non seulement aucune honte à investir dans l’agriculture, mais que c’est, plus que jamais, un investissement d’avenir.
On ne s’invente pas agriculteur. En agriculture plus encore qu’ailleurs, « il n’est de richesse que d’hommes ». La France est tellement riche de ses familles d’agriculteurs.